Il ne reste que peu de fragments du mur de Berlin, qui a divisé la ville de 1961 à 1898. Cependant, vous pouvez en apprendre beaucoup sur cette période en faisant une balade à vélo le long de son tracé.
Ayant vécu à Hambourg, dans le Nord de l’Allemagne, je pouvais rejoindre Berlin en train en deux heures et emporter mon vélo.
Guide pour une balade sur la piste cyclable du mur de Berlin
- Distance : 160 km.
- Durée : 4 jours en roulant tranquillement ou en faisant des arrêts.
- Départ et arrivée : Potsdamer Platz.
- Quel vélo ? L’itinéraire est facile car le terrain est relativement plat et les routes sont presque toutes goudronnées. Un trekking bike ou un vélo de ville suffisent. Un vélo de route convient, mais, dans ce cas, il peut être un peu plus difficile d’emporter des bagages.
- Quand partir ? La meilleure période est d’avril à septembre. En juillet et en août, la chaleur est supportable.
- Où loger ? De nombreuses auberges de jeunesse et hôtels se situent le long du parcours, sauf dans les zones naturelles peu fréquentées. Je conseille de ne pas réserver les hébergements à l’avance mais de le faire le jour même, en fonction de son avancée du jour, ce qui permet de rester flexible.
La traversée du centre-ville de Berlin
Arrivé à la gare centrale de Berlin, je remonte sur mon vélo et j’atteins la Potsdamer Platz (la place de Potsdam) après être passé devant le Reichstag et la porte de Brandebourg. La Potsdamer Platz impressionne par sa grandeur. Trois grands immeubles aux formes originales et modernes la dominent. Ils témoignent de la transformation de la place après la chute du mur. Dans les années 1920, c’était la place la plus fréquentée d’Europe. Ses palaces et cabarets renommés faisaient d’elle l’épicentre du Berlin libertaire. À la fin de Seconde Guerre mondiale, elle est presque entièrement détruite par les combats. De 1961 à 1989, le mur la partage en deux. Pendant cette période, du côté de Berlin-Ouest, la zone était une friche. Côté Berlin-Est, la place était un man’s land faisant partie de la zone de surveillance de la frontière. Le départ de la piste cyclable du mur de Berlin, Berliner Mauerweg, est signalé par des restes de l’édifice d’origine. Des panneaux informatifs racontent l’histoire du mur et le contexte dans lequel il fut érigé.
L’histoire du mur de Berlin
En 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Berlin est en ruine. Les puissances victorieuses de la guerre décident de partager l’Allemagne et Berlin en 4 zones d’occupation pour l’URSS, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France. Les divergences grandissantes entre les Soviétiques et les puissances occidentales mènent à la création de deux états allemands en 1949. La République Fédérale d’Allemagne (RFA) en Allemagne de l’Ouest, soutenue par les Etats-Unis, est capitaliste et démocratique. De l’autre côté de la frontière, la République Démocratique d’Allemagne (RDA), soutenue par l’URSS, est marquée par une économie communiste et un manque de liberté des citoyens.
Suite à la création de la RDA, de nombreux Allemands de l’Est fuyant la répression du régime et la pauvreté émigrent à l’Ouest. Pour empêcher la fuite de ses citoyens, le gouvernement de RDA réfléchit à faire ériger un mur à Berlin. Le dirigeant de la RDA de l’époque, Walter Ulbricht, affirme quelques semaines avant la construction du mur que celle-ci n’est pas prévue. Finalement, le 12 août 1961, la construction du ‘mur de protection antifasciste’, d’après son nom officiel en Allemagne de l’Est, débute, séparant la ville en deux du jour au lendemain. Bien qu’on parle du ‘Mur de Berlin’, il y avait deux murs, séparés par une bande de no man’s land de quelques dizaines de mètres de large surveillée par les soldats est-allemands. Plusieurs tours de surveillance servaient à repérer les personnes qui cherchaient à fuir à l’Ouest. De nombreuses tentatives de franchissement du mur ont eu lieu et parmi elles, une centaine connut une fin tragique.
Le 9 novembre 1989, les frontières s’ouvrent, sans violence, à la surprise générale. La nuit même, les Berlinois commencent à détruire le mur. Les Berlinois de l’Est se rendent à Berlin-Ouest par milliers pendant les heures qui suivent l’ouverture de la frontière. La décision du gouvernement de RDA de ne plus contrôler les passages à la frontière fait suite à des manifestations pacifiques en Allemagne de l’Est et à une fuite des Est-allemands les mois précédents. Moins d’un an après la chute du mur, le 3 octobre 1990, l’Allemagne fut réunifiée.
Près de la Potsdamer Platz, sur la Leipziger Platz, je visite le musée allemand de l’espionnage. Son emplacement s’explique par le fait que Berlin a été, et est toujours, considérée comme la capitale mondiale de l’espionnage. L’activité était la plus intense pendant la guerre froide car la ville se trouvait au cœur de l’affrontement Est-Ouest. Le musée retrace l’histoire de l’espionnage depuis l’Antiquité et les méthodes utilisées par les espions. Les récits d’opérations d’espionnage et de renseignement pendant les deux guerres mondiales sont d’après moi particulièrement passionnants, car ils semblent tirés d’un film. Les salles obscures et les histoires d’espions célèbres me transportent dans un univers de secrets, de couvertures et d’intelligence. Le musée est agréable à visiter car il est parsemé de jeux, comme des codes à déchiffrer.
En suivant la piste cyclable bien signalée par les panneaux « Berliner Mauerweg », je passe devant un bâtiment cylindrique où se trouve l’exposition « The Wall ». Des projecteurs affichent l’image panoramique fixe d’un quartier de Berlin à l’époque où il était séparé en deux par le mur. L’exposition explique l’état d’esprit des Berlinois dont la vie de tous les jours était influencée par le mur. L’artiste Yadegar Asisi, l’auteur de l’exposition, explique sur une vidéo montrée à l’extérieur de la salle de projection qu’à l’époque, voir le mur à quelques dizaines de mètres était une normalité pour les Berlinois. Il me parut absurde de séparer une ville en deux par un mur sans que ses habitants ne puissent communiquer.
Le tracé du mur de Berlin passe devant le Checkpoint Charlie, l’un des trois points de passage entre Berlin-Ouest et la RDA. De nombreux touristes prennent des selfies devant le point de contrôle conservé car c’est le plus célèbre des trois. La raison est que, le 25 octobre 1961, des chars américains et soviétiques s’attroupèrent des deux côtés du Checkpoint. Les troupes américaines forcèrent le passage vers le secteur Est quelques jours auparavant, ce à quoi le ministère de l’Intérieur est-allemand répondit en ordonnant le contrôle des militaires américains habillés en civil. Aucun affrontement n’a finalement eu lieu, que ce soit ici ou ailleurs à Berlin pendant la période de séparation de la ville.
À quelques dizaines de mètres, se trouve le bâtiment imposant et rectangulaire de l’Abgeordnetenhaus von Berlin, la chambre des députés de Berlin. Chaque Land allemand, comparable à une région administrative française, a son propre parlement élu au suffrage universel. Berlin étant une ville-Land, elle a son propre parlement. Le bâtiment est, de 1903 à 1918, le siège du parlement prussien, puis sous la république de Weimar, jusqu’à l’arrivée des Nazis en 1933, il sert de parlement au land de Berlin. À partir de 1949, situé à Berlin-Est, le bâtiment est le siège du gouvernement de RDA, de la commission d’État au Plan et accueille les équipements d’écoutes de la Stasi, les services de sécurité d’Etat. Le très bon film allemand La vie des autres raconte la surveillance par écoutes d’opposants en RDA. En le regardant, vous serez transportés dans l’atmosphère du Berlin-Est des années 1980 et découvriez les méthodes de surveillance de la Stasi. Depuis 1990 et la réunification, les parlementaires du Land de Berlin siègent dans le bâtiment.
En longeant le fleuve Spree, difficile de rater l’East Side Gallery tant les touristes se massent devant ! La galerie à ciel ouvert amuse et interpelle les visiteurs sur les sujets de la liberté et de l’histoire de la guerre froide. Sur ce pan du mur, des artistes internationaux ont créé des œuvres de street-art. Elles datent des mois qui ont suivi la chute du mur et ont été restaurées en 2009. Les créations sont très variées et à tour de rôle drôles, engagées, ou simplement belles. Mes préférées sont le « Curriculum Vitae » et celle inspirée du tableau « Le Cri » d’Edvard Munch.
La découverte d’un important point de passage
En s’éloignant du centre de Berlin vers le Sud, j’atteins la frontière entre la ville et le Land de Brandenburg. Le tracé du mur suivait la frontière. Entre Teltow et Wannsee se trouve le Checkpoint Bravo, un lieu de passage pour les Berlinois de l’Ouest voyageant en RFA et pour les Allemands de l’Ouest se rendant à Berlin-Ouest. À cet endroit, la frontière coupait l’autoroute par laquelle passaient les visiteurs. Il y avait souvent de longues files de véhicules et les voyageurs devaient attendre plusieurs heures car les soldats examinaient souvent les voitures.
Avant de traverser le pont pour piétons et cyclistes qui enjambe l’autoroute, je remarque le mémorial du panzer (Panzer Denkmal), un curieux chasse-neige rose. Comme à de nombreux autres endroits le long de l’ancien tracé du mur, des panneaux informatifs retrace l’histoire du mémorial.
Environ 80.000 soldats soviétiques sont tombés en avril et en mai 1945 durant la bataille de Berlin, pendant les derniers jours de la guerre. Dans les mois suivants, les Soviétiques érigèrent plusieurs mémoriaux à Berlin pour commémorer leurs héros. Un mémorial surmonté d’un char, le Panzer Denkmal, fut érigé à Zehlendorf, non loin du Checkpoint Bravo, dans la future zone d’occupation américaine. Des habitants de Berlin-Ouest dégradèrent le monument plusieurs fois en signe d’opposition au blocus soviétique sur Berlin-Ouest et à la répression d’opposants en RDA. En 1954, il est décidé de déplacer le mémorial sur le territoire de la RDA puis il est déplacé à nouveau vers son emplacement actuel en 1969. Les Soviétiques choisirent cet endroit car il se situe à un endroit stratégique, à la frontière avec Berlin-Ouest. Le monument se voulait accessible au plus grand nombre, mais personne ne pouvait y accéder car situé dans la zone de sécurité du mur. Le 10 novembre 1989, un jour après la chute du mur, la frontière à cet endroit s’ouvre et le mémorial est de nouveau accessible. Les Soviétiques enlevèrent le char de son socle et depuis 1992, un chasse-neige rose le remplace. Cette œuvre d’art est inscrite sur la liste des monuments historiques. L’artiste berlinois qui a eu l’idée du chasse-neige voulait remettre en lumière un lieu oublié et rappeler à quoi servait le mémorial d’origine.
À travers les lacs et les forêts à la limite de la ville
J’atteins Potsdam à la fin de cette première journée et après avoir apprécié ses palais et sa nature pendant un jour et demi, je reprends la route du mur qui longe le fleuve Havel. Les bords des lacs formés par le fleuve sont calmes. Arrivé à l’embarcadère du ferry menant à la Pfaueninsel (l’île aux paons), accessible uniquement par bateau, je me retrouve au milieu des touristes mais surtout des Berlinois qui attendent d’embarquer. Je traverse le fleuve en quelques minutes et je me mets en route sur les sentiers de la petite île. La Pfaueninsel fut achetée par un roi de Prusse qui y fit construire un château. De couleur blanche et orné de deux tours, il se remarque bien en arrivant. Je n’ai pas pu le visiter car il n’était pas ouvert lors de ma venue, mais, coup de chance, je croise un paon au beau plumage vert et bleu. L’île porte bien son nom ! Le tour de l’île se parcourt en environ une heure. La nature sauvage fait penser à une île aux trésors abandonnée. Des petits voiliers blancs et des canoë glissent sans un bruit sur la Havel aux alentours. La vue de ces bateaux renforce l’impression de quiétude et d’harmonie du lieu. En parcourant cette oasis de calme, je comprends mieux pourquoi l’endroit est si prisé des Berlinois fuyant l’agitation de la ville le week-end.
Dans le quartier de Wannsee, un ferry traverse le lac du même nom en une vingtaine de minutes. Je retrouve la piste cyclable du mur de Berlin après la traversée, puis la section de la piste qui marque la frontière à l’Ouest de Berlin traverse une zone de forêts. Par endroits, je m’arrête pour lire les panneaux informatifs oranges qui retracent les circonstances de l’ouverture des frontières en novembre 1989. Je passe les portraits des personnes mortes en essayant de franchir le mur avant sa chute. Bien que ces récits soient importants pour ne pas les oublier, je trouve les histoires glaçantes.
Non loin de Hennigsdorf, le tracé longe la Havel et passe devant la tour-frontière de Nieder Neuendorf (Grenzturm Nieder Neuendorf). C’est l’une des seules tours d’observation du mur conservées. De là, les gardes-frontières est-allemands surveillaient les rives du fleuve. La visite informe sur les conditions de vie des gardes-frontières. En visitant le dernier étage de la tour, j’observe le fleuve et les maisons sur l’autre rive, auparavant situées à Berlin-Ouest, comme le faisaient les gardes-frontières. Ceux-ci utilisaient un projecteur pour surveiller la zone.
Après avoir traversé la Havel, à la frontière au Nord de Berlin, je rentre dans une zone naturelle sauvage, la Tegeler Fließ. La forêt de pins et les parties couvertes de sable se prêtent à la promenade à vélo ou à pied et il est difficile de se dire que le lieu se trouve à seulement quelques kilomètres de l’agitation du centre de Berlin. La végétation et le calme me rappellent la forêt des Landes dans le Sud-Ouest de la France. À la fin de la traversée de la forêt où je ne croise personne, je pédale rapidement pour arriver à mon hôtel avant le coucher du soleil.
Visite du château de Schönhausen : de la Prusse à la RDA
En quittant la zone naturelle, l’environnement s’urbanise et je fais un court détour pour visiter le château de Schönhausen. Situé dans le quartier de Pankow, le petit château témoigne de différentes époques de l’Histoire allemande.
Construit au XVIIe siècle par Frédéric Guillaume III, qui allait devenir en 1701 le premier roi de Prusse sous le nom de Frédéric I, il servait de résidence d’été à l’épouse de Frédéric II, la reine de Prusse Elisabeth Christine. C’est à elle que le château doit son agencement et sa décoration de style rococo. Le rez-de-chaussée porte la marque de la reine. Le château resta une possession de la famille royale jusqu’en 1918 et à partir de 1933, les nazis s’en servirent comme dépôt pour les œuvres d’art interdites par le régime avant leur revente. En visitant l’étage, je voyage dans le temps et me retrouve pendant la guerre froide car le château servait de résidence aux plus importants hommes d’Etat de la RDA. Wilhelm Pieck, le premier président de la RDA, puis ensuite Walter Ulbricht, le président du conseil d’Etat, y ont vécu. Le bureau de Wilhelm Pieck est meublé de façon élégante et confortable mais sans luxe. La simplicité de la décoration voulait donner l’impression que le plus important personnage de l’Etat était proche du peuple. partir de 1964, le château accueillit les chefs d’État et hommes politiques des pays communistes alliés de la RDA pendant leurs visites officielles, tels que Fidel Castro et Mikhaïl Gorbatchev. Ce dernier y résida quelques semaines avant la chute du mur.
L’Allemagne réunifiée : le mémorial du mur de Berlin et le quartier du gouvernement
Je traverse le Mauerpark (le parc du mur), où de nombreux Berlinois se retrouvent entre amis pour profiter du soleil, et arrive au mémorial du Mur de Berlin (Gedenkstätte Berliner Mauer) dans la Bernauer Straße. Ce site à l’air libre est le lieu de commémoration principal de la séparation de la ville en deux pendant près de 30 ans. Sur la bande de pelouse et de béton de quelques dizaines de mètres de long, des informations très détaillées sur la partition de Berlin et de l’Allemagne sont à disposition. Je me promène le long de la portion du mur Ouest conservée. Une partie du mémorial reconstitue la zone formée des deux murs et du no man’s land où se trouve une tour de surveillance.
La piste cyclable dur mur de Berlin atteint ensuite l’hyper-centre de la ville. Après être passé devant la gare centrale, je traverse le Regierungsviertel (le quartier du gouvernement). Le Reichstag, la Paul-Löbe-Haus, et la Marie-Elisabeth-Lüders-Haus servent de siège au parlement et de bureau aux parlementaires. Cet ensemble architectural modernisé ou reconstruit après la réunification de l’Allemagne est à mon goût très réussi. Après avoir suivi la route du triste mur de la honte pendant quatre jours, mon itinéraire se termine sur une note positive, au cœur du pouvoir politique de l’Allemagne réunifiée.