Pourquoi passer quelques jours à Potsdam ?
L’architecture de la capitale du Land de Brandenburg est marquée par les palais et châteaux prussiens. Potsdam compte de nombreuses maisons magnifiques et des lieux symboliques de la guerre froide. J’aime m’y rendre lors de longs week-ends pour m’imprégner de son atmosphère de musée à ciel ouvert et pour profiter de ses nombreux parcs et des eaux calmes du fleuve Havel. D’après moi, Potsdam mérite une visite de plusieurs jours.
À Babelsberg, une prise de hauteur sur la ville de Potsdam
L’arrivée à vélo depuis Berlin par le Berliner Mauerweg fait traverser le quartier de Babelsberg. Ses villas avec vue sur le fleuve Havel, qui délimite la ville à l’Est, ressemblent à des petits châteaux. Au bord du fleuve se trouve le parc de Babelsberg. Un palais s’élève sur une colline du parc. C’est un lieu idéal pour apprécier la vue sur le fleuve et sur le pont de Glienicke (Glienicker Brücke).
En arrivant à Potsdam, j’ai l’impression d’arriver dans une autre époque, tant son architecture est différente de celle de Berlin. Les bâtiments sont en bon état, les maisons souvent ornées de statues et les façades de couleur blanc cassé ou jaune clair. Les maisons aux allures de palais contrastent avec l’aspect plus délabré de Berlin.
Dans le magnifique parc de Sans-Souci
D’après moi, la meilleure façon de découvrir le parc de Sans-Souci est de le parcourir à pied. Les vélos ne sont autorisés que sur peu d’allées. À l’extrémité Ouest de l’allée principale du parc se trouve le Neues Palais. Je choisis de le visiter car c’est le plus grand palais du parc. Sa grande taille, ses plus de 400 statues et sa coupole lui donnent un aspect triomphal. Le chemin de promenade en forme de demi-cercle devant le palais, sur lequel se trouvent des bancs, permet de se reposer tout en admirant l’édifice avant la visite.
Le palais fut construit sous le règne de Frédéric II pour célébrer la fin de la guerre de 7 ans qui permit à la Prusse de conserver la Silésie. La décoration est de style rococo, dont le nom vient du mot français rocaille, ce qui s’explique par ses ornements asymétriques ressemblant à de la rocaille ou à de la végétation. Bien que lors de sa construction, de 1763 à 1769, le rococo n’était plus à la mode, Frédéric II choisit quand même ce style car il voulait que son nom lui soit associé. Le palais servait de lieu de réception pour les invités du roi. Certains souverains des Hohenzollern, la famille royale prussienne, en firent une de leurs résidences.
Frédéric II, le Roi-Philosophe
L’architecture de Potsdam est due à son passé de ville de garnison et de résidence des rois de Prusse. Le royaume de Prusse s’étendait sur une grande partie de la moitié Nord de l’Allemagne actuelle et sur l’Ouest de la Pologne actuelle. En 1871, après la victoire contre la France, l’Empire allemand est proclamé et incorpore la Prusse. Le roi de Prusse devient ainsi empereur d’Allemagne, ce qui montre l’importance de la Prusse dans le nouvel empire. En 1918, la défaite de l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale entraîne l’abdication de l’empereur Guillaume II et met fin au Royaume de Prusse. Potsdam témoigne de la grandeur prussienne, car ses souverains y ont construit des palais, châteaux et parcs très bien conservés.
Frédéric II est le plus célèbre, pour son palais de Sans-Souci et son nouveau palais (Neues Palais), les joyaux de Potsdam situés dans le parc de Sans-Souci. Ses surnoms de Frédéric le Grand et de Roi-Philosophe en disent long sur son caractère. En 1740, il succède à son père Frédéric Guillaume I. Ce dernier, surnommé le Roi-Sergent, a largement développé l’armée prussienne. Frédéric II se démarquait de son père par ses positions anti-bellicistes et par son goût pour la musique et la philosophie. Il préférait s’exprimer en français, la langue des philosophes, plutôt qu’en allemand. Le philosophe français Voltaire vécu à sa cour à Sans-Souci pendant 3 ans. Ce portrait est à nuancer car il passa une bonne partie de son règne à faire la guerre à d’autres Etats européens. En 1740, il conquiert la Silésie, une région riche et peuplée située en Pologne actuelle. La façon dont il a envahi ce territoire détenu par l’Autriche, sans déclaration de guerre préalable, ternit son image de pacifiste. Il fait reconnaître la Prusse comme une des grandes puissances d’Europe. Cependant, il amène la Prusse au bord de la ruine et laisse des dettes importantes alors qu’il a reçu de son père des finances d’Etat intactes.
En entrant par l’arrière du palais, j’arrive dans un vestibule puis dans la salle de la grotte, une pièce dont les murs sont ornés de roches, de coquillages et de visages de monstres marins. La décoration surprend car ce style est inhabituel pour un monument de cette époque. Les pièces décorées de façon luxueuse se succèdent jusqu’à la salle de marbre, impressionnante par ses dimensions immenses, son sol en marbre et sa riche décoration au plafond. En apprenant que des bals étaient organisés dans cette salle par Frédéric II, je m’imagine l’ambiance luxueuse et festive qui y régnait.
Une partie du palais est occupée par les appartements de la famille de Guillaume II, le dernier empereur allemand, qui y vécut jusqu’à son abdication en 1918. Dans ces pièces, le mélange de luxe et de confort émerveille. Aménagés dans la plus grande modernité pour le début du XXe siècle, les appartements étaient équipés de l’électricité et un système de sonnettes permettait à l’impératrice d’appeler ses domestiques. Sur un mur d’une pièce du palais, je remarque une inscription à la main en russe accompagnée de la faucille et du marteau soviétiques écrite par des soldats qui occupaient le palais à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce graffiti témoigne de l’atmosphère qui régnait à la fin de la guerre car ces inscriptions sont des insultes aux Allemands.
Après avoir fini la visite, je me rends devant les Communs, deux bâtiments annexes situés derrière le palais et séparés par des colonnades élégantes. Les cuisines s’y trouvaient, reliées au palais par un souterrain. Ainsi, les invités n’étaient pas dérangés par les odeurs et les bruits de la cuisine. Le summum du confort !
En traversant le parc vers l’Est, je passe devant le palais de Sans-Souci. Il se situe au sommet d’un escalier majestueux orné de pieds de vigne (voir photo au début de l’article). Frédéric II choisit le nom de Sans-Souci car il voulait oublier ses problèmes dans ce palais. Sa petite taille rend la visite agréable. Vous ne pouvez pas partir sans vous rendre dans la cour d’honneur derrière le palais et admirer au loin le Ruinenberg. La magnifique vue dégagée sur les ruines d’un palais romain et sur la fontaine donne une atmosphère romantique au lieu.
Les bâtiments prussiens du centre-ville de Potsdam : une restauration réussie
Dans le centre-ville de Potsdam se trouve le quartier hollandais, un petit îlot de maisons à l’architecture typiquement hollandaise. Les maisons à pignons présentent de larges façades de brique de couleur rouge ocre. Frédéric Guillaume I puis Frédéric II firent construire ce quartier pour loger les ouvriers hollandais qualifiés travaillant à Potsdam. Aujourd’hui, les maisons sont occupées par des petites boutiques, des cafés et des restaurants. Il fait bon se promener dans ses rues et s’asseoir à une terrasse, tout en admirant l’architecture surprenante des maisons.
En se rapprochant du fleuve, l’église à coupole Saint-Nicolas (St. Nikolaikirche) se distingue. C’est un édifice monumental qui domine la place Alter Markt. Celle-ci est ornée d’un obélisque portant les portraits des quatre architectes prussiens les plus renommés. L’église fut sévèrement endommagée par les bombardements alliés à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sa rénovation, terminée en 2010, lui donne aujourd’hui une apparence immaculée et majestueuse. J’ai admiré l’église avec en arrière plan un magnifique coucher de soleil aux couleurs rosées.
De l’autre côté de la place se trouve le château de Potsdam (Potsdamer Stadtschloss) dont l’histoire symbolise le passé de l’Allemagne. Le bâtiment a été construit au XVIIe siècle et devint le lieu de résidence des souverains Hohenzollern lorsque le premier roi de Prusse, Frédéric I, monta sur le trône. Frédéric II entreprit des travaux pour transformer sa décoration dans son cher style rococo. Le palais de Sans-Souci étant sa résidence d’été, Frédéric le Grand fit donc du château de Potsdam sa résidence d’hiver ! Le château est lui aussi fortement endommagé par les bombardements à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1960, le régime est-allemand décide de raser définitivement les ruines du château. Entre 2010 et 2014, le bâtiment a été reconstruit dans le même style qu’avant sa destruction et il accueille depuis le parlement du Land de Brandenburg. Je trouve que sa silhouette rectangulaire et sa façade rose impeccable lui donnent un aspect très élégant.
Les jardins au bord de la Havel et leurs lieux historiques
À l’écart du centre-ville et en bordure de la Havel, la promenade dans le Neuer Garten est très reposante et amène à découvrir des lieux chargés d’Histoire. Je rentre dans le jardin et suis une des nombreuses allées bordées d’arbres et de pelouses. J’atteins le petit château de Cecilienhof qui a accueilli la conférence de Potsdam.
La conférence de Potsdam
En juillet et août 1945, deux mois après la fin de la guerre en Europe, la conférence de Potsdam réunit Staline, le leader soviétique, Truman, le président américain, et Churchill, le Premier ministre britannique, remplacé pendant la conférence par son successeur Atlee, le vainqueur des élections au Royaume-Uni. La précédente conférence réunissant les trois puissances était celle de Yalta, durant laquelle les Alliés se sont accordés à faire capituler l’Allemagne sans conditions. À Potsdam, les vainqueurs de la guerre décident du sort de l’Allemagne vaincue et de certaines frontières de l’Europe telles que nous les connaissons aujourd’hui.
Staline, alors au sommet de sa gloire, se trouve en terrain propice car, ses troupes ayant pris Berlin moins de 3 mois plus tôt, il fait figure de grand vainqueur du nazisme. Opposés idéologiquement au leader soviétique, Truman et Churchill cherchent à tenir tête aux revendications de Staline. Un événement donne un avantage à Truman : les tests réussis de la bombe atomique dans le désert du Nouveau-Mexique aux Etats-Unis. Le président américain, informé de la nouvelle juste avant le début de la conférence, est ainsi le premier à se doter de l’arme atomique. Les alliés décident de dénazifier, démocratiser, désarmer, et décentraliser l’Allemagne, et de partager son territoire en 4 zones d’occupation pour les Soviétiques, les Américains, les Britanniques, et les Français.
Le point de tension principal concerne le tracé des frontières de l’Allemagne et la Pologne, car Staline voulait les territoires des pays Baltes et de l’Est de la Pologne occupés par son armée. Il est décidé que la Pologne soit déplacée vers l’Ouest en compensation des territoires perdus à l’Est, et que les trois pays baltes soient annexés par l’URSS sous la forme de républiques socialistes soviétiques. La Pologne récupère la Poméranie et la Silésie et la nouvelle frontière germano-polonaise est fixée le long des fleuves Oder et Neisse. Plusieurs millions d’Allemands vivant dans ces régions doivent fuir vers l’Ouest.
Le deuxième sujet de discussion central est la fin de la guerre en Asie, où les Américains combattent encore contre le Japon. Un ultimatum, signé par Truman, Churchill et le président chinois Tchang-Kaï-Chek, est envoyé aux Japonais leur demandant de se rendre sous peine de voir leur pays complètement anéanti. Les Japonais l’ignorent et Truman, à Potsdam, donne son feu vert pour larguer une bombe atomique sur le Japon pour précipiter la fin de la guerre et limiter les pertes américaines. Après les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, l’empereur japonais se rend et l’armistice avec le Japon est signé quelques semaines plus tard.
Les tensions entre les Alliés lors de la conférence de Potsdam annoncèrent les débuts de la guerre froide. Les divergences grandissantes entre les Alliés de l’Ouest et de l’Est menèrent à la création des deux États allemands en 1949, puis à la construction du mur de Berlin en 1961.
La partie du château où s’est déroulée la conférence est restreinte car elle n’occupe que le rez-de-chaussée du bâtiment. La visite très complète informe sur le contexte dans lequel s’est tenue la conférence, la composition des délégations, les sujets de négociation et ses résultats. Dans la salle centrale de la visite, les trois leaders et leur délégation négociaient en séances plénières quotidiennes en fin d’après-midi autour d’une table large de 3 mètres de diamètre entre un escalier en bois sombre et une large fenêtre offrant une vue sur le fleuve.
La reconstitution de la pièce et les informations détaillées de la visite permettent de se replonger dans l’atmosphère de la conférence. Je m’imagine Staline, Roosevelt et Churchill assis sur des chaises plus grandes que les autres, entourés de leur délégation, des interprètes, et des rapporteurs. Autour de la salle principale, des pièces plus petites servaient de bureau aux trois dirigeants. Leur mobilier, comme des tables en acajou et en chêne, permet d’imaginer le confort dans lequel travaillaient les dirigeants et leur délégation. En cours de visite, je me rends dans la cour intérieure du château, où se trouve une étoile de fleurs parfaitement taillée qui commémore la conférence.
Je marche ensuite sur l’allée bordant le fleuve dans le Neuer Garten le long de l’ancien tracé du mur jusqu’au pont de Glienicke (Glienicker Brücke), un lieu symbolique de la guerre froide. Le pont sépare Potsdam de Berlin, ce qui faisait de lui une frontière entre la RDA et Berlin-Ouest. Il est célèbre car les Américains et les Soviétiques y échangeaient des espions capturés. Si vous voulez en savoir plus sur les échanges d’espions, regardez le film de Steven Spielberg Le pont des espions. Il raconte l’histoire vraie de l’échange entre un espion soviétique détenu aux Etats-Unis et un pilote d’avion américain prisonnier en URSS. Les scènes finales de l’échange ont lieu sur le pont de Glienicke.
Le pont est entouré d’attractions de part et d’autre. Du côté de Potsdam se trouve la villa Schöningen. Il est impressionnant de s’imaginer que, pendant près de 30 ans, jusqu’à la chute du mur les bords du fleuve étaient inaccessibles car le no man’s land s’y trouvait. Un pan de mur se trouve à côté de la villa.
Du côté de Berlin, on admire les château de Glienicke (Schloss Glienicke) et le pavillon de chasse de Glienicke (Jagdschloss Glienicke) dans le parc Klein-Glienicke. Inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 1990, l’ensemble vaut d’après moi le détour car une balade dans la nature verte bordée d’eau est très reposante. Le château de Glienicke de couleur blanche aux formes géométriques rappelle, par son aspect magistral, les palais italiens de la Renaissance. Le château et le pavillon de chasse, construits au XVIIIe siècle, étaient la résidence du prince Charles de Prusse, un général qui n’a jamais régné sur le royaume. Sur le chemin menant au pavillon de chasse, la vue sur le parc de Babelsberg, sur son château et sur la Havel vaut le détour.