20 août, 5h30. J’entends le son de mon réveil. Même s’il est désagréable, il me remplit d’excitation et de joie. La raison : il marque le top départ d’une semaine de vacances en Catalogne que j’attendais depuis longtemps.
Je descends mes deux sacoches et mon tapis de sol devant mon immeuble, puis les attache au porte-bagages de mon vélo. Celui-ci ne va pas me quitter pendant 4 jours, soit le temps que je prévoie de passer sur la Pirinexus. Cette véloroute de 340 km forme une boucle au départ de Gérone, dans le nord de la Catalogne.
Voici comment s’est déroulé mon périple.
Comment j’ai rejoint mon point de départ
Dans le train en gare de Bordeaux, d’autres cyclistes doivent suspendre leur vélo à un crochet dans l’espace dédié. La manipulation n’est pas facile et nous nous entraidons. En voyant les équipements de mes « confrères », je me dis que je ne suis pas le seul à voyager en itinérance et à bivouaquer.
Après avoir rejoint Perpignan, puis longé la côte en TER, j’arrive vers 11h30 dans le village de Cerbères, à la frontière espagnole. Bien décidé à profiter du cadre et des lieux d’intérêt au lieu de tracer ma route, je prends le temps de me balader et d’admirer la mer d’un bleu azur. La plage de galets du centre de Cerbères est petite. Cela me change des interminables plages de sable de l’Atlantique.
Ensuite, j’emprunte un tunnel pour piétons qui remonte vers la gare, pour admirer un mur décoré de street art. J’entends l’écho des bruits de mon vélo, ce qui donne au lieu une atmosphère de grotte mystérieuse, renforcée par l’absence de passants. Après ce détour, je commence le trajet vers Portbou, de l’autre côté de la frontière.
La route, fréquentée par de nombreuses voitures, monte en lacets mais la pente est modérée. Heureusement que je porte un casque et un gilet jaune fluorescent. Je m’arrête pour contempler la côte sublime et la mer qui s’étend à perte de vue. Sur les bords de la route, je remarque de petits arbustes, posés sur le sol rocailleux. Un bâtiment désaffecté se trouve juste avant la frontière, au milieu de l’asphalte. Cet ancien poste-frontière a un aspect historique. Au bout de la montée, j’atteins le mémorial de la retirada. Je descends de selle.
Une piste bétonnée qui s’éloigne de la route nationale est jalonnée de panneaux. J’y vois des photos montrant des visages hagards ou inquiets au milieu d’une file immense de gens. Elle a été prise à l’endroit où je me trouve, il y a 85 ans.
Le mémorial de l’exil : traverser la frontière pour rester libre
En janvier 1939, Barcelone tombe aux mains du général Franco, après environ 3 ans de guerre civile en Espagne, ce qui cause le départ de 450 000 Catalans et Républicains espagnols sur les routes de l’exil. Ils passent notamment la frontière au Col des Bélitres, que je viens de grimper. L’accueil qui leur est réservé en France est mitigé : traités comme des indésirables, beaucoup de réfugiés espagnols sont internés dans des camps dans le sud de la France et en Catalogne française.
La descente jusqu’à Portbou commence. Je trouve la petite ville espagnole banale moins belle que Cerbères. Après un pique-nique sur le front de mer, je me presse pour visiter le mémorial de Walter Benjamin. Celui-ci se trouve sur une falaise, à côté du cimetière municipal.
Un tunnel se jette en direction de la mer. Je m’avance jusqu’à atteindre la fenêtre en verre au bout de l’ouvrage. La vue sur l’eau bleue et sur les rochers blancs au fond est magnifique. Cette œuvre d’art est fascinante. Moi qui ne connais rien de la vie de Walter Benjamin, j’apprends que c’est un philosophe allemand juif qui a fui l’avancée de l’armée allemande en France en 1940. Arrivé à Portbou, il a tout de suite appris que la police espagnole allait l’expulser vers la France, et il est mort après avoir consommé une forte dose de morphine. Cet homme, qui me fait penser à un animal chassé, me rappelle en cela Stefan Zweig.
Ensuite, je monte dans le train, puis parcours à vélo les derniers kilomètres jusqu’à Tordera. Des amis passent des vacances dans la petite ville. Après une soirée détendue avec eux, je pars tôt le lendemain matin pour rejoindre Gérone.
Jour 1 : Découverte de la montagne catalane
Dès que je sors de la gare, à 9h, je vois les panneaux verts de la Pirinexus. La voie traverse un parc rempli d’arbres immenses, puis sort de la ville à travers les champs.
L’itinéraire longe une route puis s’en éloigne. J’emprunte en ce moment la voie verte du Carrilet I. Elle commence à monter. Dans ce décor végétal, une rivière coule en contrebas de la piste. J’entends des bruits de touristes espagnols et les aperçois entre les arbres. Ils sont en train de se baigner. Il est tentant de les rejoindre, mais je décide de ne pas le faire. Il y aura d’autres occasions.
J’ai des difficultés à grimper la route, et les voitures qui me dépassent rende l’ascension plus pénible. Dans ces moments, je me dis que mon vélo est lourd et mes sacoches remplies. Il faut que je passe à une vitesse inférieure, sur le plus petit plateau.
Soudain, j’entends ma chaîne sauter : je ne peux plus avancer. En plein virage, je me déplace sur le côté et retourne mon vélo en le posant sur la selle.
Les choses se présentent mal. Ma chaîne est coincée, hors des pignons. Impossible de la retirer, même en forçant. Soudain, un couple de cyclistes passe devant moi et me propose de l’aide. Je décline leur offre, car je pense arriver à m’en sortir tout seul. Quelques minutes plus tard, je me rends compte que cela ne va pas être possible. Est-ce que mon périple est déjà fini ?
Un autre couple de cyclotouristes espagnols d’une soixantaine d’années me propose alors leur aide. Cette fois, je ne laisse pas passer l’occasion. L’homme semble s’y connaître en mécanique de vélo. Il me demande de placer la chaîne sur les pignons des vitesses pendant qu’il tire de toutes ses forces pour la débloquer. Lorsqu’elle est en partie délogée de l’endroit entre les pignons et le plastique protecteur, il tourne les pédales. Enfin, la chaîne se débloque ! Je veillerai à ne pas changer les vitesses trop vite à l’avenir.
J’atteins la petite ville d’Olot vers 13h30, après avoir parcouru environ 55 km. Je vais faire des courses dans un supermarché avant de manger mon pique-nique sur une grande place végétalisée. Ensuite, je pars à la recherche d’un café pour compléter mon repas, mais soudain, je vois de belles bâtisses datant du début du XXe siècle. Un quartier composé de grandes maisons bourgeoises entourées de jardin se dévoile à mes yeux. Un panneau informatif posé devant un grand édifice attire ma curiosité. Il s’agit d’une maison à l’architecture catalane typique qui appartient à un riche habitant d’Olot. Je me laisse charmer par ce quartier en roulant sans but tout en admirant l’environnement. Ensuite, après avoir bu un café con hielo sur la terrasse d’un bar, je remonte en selle. Charmante petite ville d’Olot !
La route de montagne forme des lacets. Je roule en zigzag pour réduire mon inclinaison, mais la pente me force à m’arrêter au bord de l’asphalte pour souffler. Je choisis un endroit ombragé, sous les arbres. Quelques gorgées d’eau et un Figolu plus tard, je repars.
Je vois une ligne droite devant moi, que j’évite du regard. Je suis épuisé mais content et positif. Ma progression lente me rend humble. Je me mets à remercier, dans mes pensées, des personnes qui me sont chères.
Soudain, un cycliste apparaît derrière mon épaule sans que je l’aie vu venir. La discussion s’engage en espagnol :
– « Vous faites la Pirinexus ?
– Oui, vous aussi ?
– Oui, j’ai un vélo électrique mais je n’ai presque plus de batterie. Ma femme est avec moi ».
Peu après, une femme d’une soixante d’années nous rejoint. Elle peine moins que moi grâce à la batterie de son vélo. En parlant avec Yolanda et Andrés, mes douleurs ont presque disparu. Ils sont apparus à la manière de personnages aidant un protagoniste à accomplir une quête.
Ils vivent à Malaga, sont retraités et ont fait du vélo dans presque tous les pays d’Europe. Quelle bonne façon de passer sa retraite ! Andrés me conseille, entre autres, la route Mozart, de Salzbourg à Venise, et un voyage de Hambourg à Prague, le long de l’Elbe.
Nous franchissons deux cols, Coubet à 1 010 m, puis Santigosa, à 1 064 m.
La descente commence.
Yolande ralentit et rejoint Andrés, comme si elle voulait me laisser passer. Je lui explique :
– « Je n’aime pas aller vite dans les descentes, j’ai peur de tomber.
– Moi aussi, et je pensais que tu irais plus vite que nous ».
À Sant Joan de les Abadesses, ils continuent pour passer la nuit dans un camping au village suivant, alors que je décide de m’arréter visiter la petite ville charmante.
C’est l’heure de l’apéritif : les terrasses sont animées. En tendant l’oreille, j’entends parler catalan. La langue et la présence des drapeaux rouges et jaunes accrochés aux balcons, me font sentir en Catalogne, et non en Espagne. Je roule lentement dans les étroites rues et m’arrête pour admirer l’abbaye. J’atteins ensuite par hasard un espace où se trouvent des jeunes qui discutent et rient. Au bord d’une muraille ancienne, je profite d’une vue magnifique sur les montagnes verdoyantes. Après avoir pris une bière et rechargé mon portable dans un bar, je reprends la route pour trouver un endroit où dormir.
La Pirinexus suit une piste cyclable puis rejoint un chemin de gravel. Des vaches broutent dans les prés verdoyants. Je traverse le fleuve Ter, dans lequel des gens se baignent. Je ne peux toujours pas m’arrêter pour me rafraîchir car le soleil va bientôt se coucher.
Un endroit me semble idéal pour poser ma tente, en hauteur de la piste. Je monte mon vélo et le place de l’autre côté du fil qui encercle le pré pour le cacher de la vue. Après avoir commencé à monter ma tente, j’entends le bruit des cloches des vaches se rapprocher. Elles ne sont qu’à quelques mètres. Catastrophe ! Je ne me sens pas en sécurité ici. Elles pourraient passer le fil pour goûter à ma nourriture.
Il faut récupérer mon vélo avant qu’elles ne soient trop près. Je ressens soudain une douleur brève sur la jambe puis le bras : le fil est électrifié.
15 minutes plus tard, je trouve un site plus adapté. Situé juste au bord de la piste, il est plat et caché derrière des arbustes. Je monte ma tente puis mange en vitesse dans l’obscurité, avant de m’allonger. Au loin, le bruit des cloches et des voitures se fait entendre.
Jour 2 : De l’autre côté de la frontrière, une atmosphère différente
Le matin, pour la première fois, j’utilise mon réchaud à gaz. Je suis impatient de voir comment il fonctionne. Je l’allume sur la piste de gravel, à l’écart de la végétation. Le réchaud émet un souffle et, en quelques minutes, mon eau bout. Une pomme et du gâteau accompagnent mon thé. Ce petit-déjeuner me remplit de joie.
À Camprodon, une petite ville touristique de basse-montagne, je rejoins une route plus fréquentée. En passant devant les campings, je cherche Yolanda et Andrés, qui devaient dormir ici, sans succès. J’espère les revoir plus tard. L’endroit doit être un lieu de départ de randonnées apprécié. De nombreuses voitures et camping-cars me dépassent et me croisent à la sortie de Camprodon, ce qui me déplaît. Il faut faire attention à les éviter et leur bruit est désagréable. Il y a aussi des motos. Je n’ai jamais compris quel était l’intérêt de faire de la moto dans la nature. Cela ne procure pas le plaisir d’atteindre une destination après avoir dû se déplacer activement.
En revanche, la vue sur les montagnes est sublime. Je peux prendre le temps pour en profiter car la route monte. Mon regard se porte sur les bords de l’asphalte, couverts d’une végétation qui sent bon. Soudain, je vois des fleurs violettes sur l’herbe, autour desquelles des papillons volent. Cette montée est plus facile que celle d’hier. Je dois être en jambes.
En passant devant les grands arbres feuillus qui forment une masse verte, j’ai du mal à concevoir qu’il y a une sécheresse en Catalogne depuis plusieurs mois. Cette zone doit avoir connu la pluie cet hiver.
Le panneau du col d’Ares, à 1 513 m, m’indique que la montée est terminée. En entrant en France, je ressens de l’excitation et en même temps, il me tarde de repasser du côté espagnol car ce voyage a pour but, entre autres, de m’évader dans un pays étranger et de m’imprégner d’une culture différente.
La descente dure une dizaine de kilomètres. Comme d’habitude, je me force à ralentir. Cependant, je ne me sens pas en danger sur ce vélo robuste, d’autant plus qu’il y a peu de voitures. L’itinéraire passe par Prats-de-Mollo, « un des plus beaux villages de France ». À l’entrée de celui-ci, j’admire le pont qui enjambe la rivière et un édifice religieux majestueux qui s’élève au-dessus de la localité.
Sur ce qui me semble être la place principale, je m’arrête pour faire ma pause-déjeuner, à l’hôtel-restaurant Le Costabonne.
En me promenant dans le village, je me dis que ceux que j’ai traversés en Espagne étaient pour la plupart plus conviviaux et vivants. Je constate aussi qu’en France, je n’ai pas entendu une seule fois la langue régionale.
Durant l’après-midi ensoleillée, alors que je longe une rivière depuis la route de montagne, je vois à plusieurs endroits des gens se baigner. C’est le moment de faire une pause rafraîchissante. À un centre d’activités, on me dit que l’endroit est privé mais qu’il est possible de se baigner 300 mètres plus loin. Là-bas, je vois en effet un bel accès sur la rivière. Personne en vue, mais une camionnette Véolia et deux barnums se trouvent là. Il doit y avoir des employés, mais je ne les vois pas. Qu’est-ce qu’ils font là ?
Je me plonge dans l’eau petit à petit. D’une part, parce qu’elle est froide et d’autre part, parce que le cours d’eau est peu profond. Je ressens l’eau réveiller et laver ma peau, comme une douche naturelle. Je m’allonge sur un rocher, bercé par le bruit du courant. Si je m’endormais, une chute serait vite arrivée. Il vaut mieux faire une sieste sur la « plage », à l’ombre. Je m’assoupis quelques minutes puis repars.
Je tire sur mes jambes qui commencent à montrer des signes de fatigue, jusqu’au village de Céret, où se trouve un beau pont datant du Moyen Âge. À la sortie de celui-ci, j’entends un bruit derrière moi. Une de mes deux sacoches est tombée. Inspection : les accroches se sont cassées à cause du poids. Ce n’est pas étonnant, puisque ce bagage est conçu pour les trajets urbains et sert plutôt à transporter un ordinateur et des cahiers. La seule solution est de sortir les sangles de la sacoche pour l’utiliser comme sac à dos. Je repars. Ce n’est pas si mal, mais le poids fait suer mon dos. Ouf ! Je ne suis pas forcé d’arrêter mon voyage ici.
Ensuite, le tracé quitte la route pour rejoindre une piste cyclable bétonnée qui passe au milieu de champs de cerisiers. J’admire le décor qui mêle le jaune des herbes et le vert des arbres. Le paysage de montagne a laissé place à un cadre méditerranéen. Cette alternance rapide d’espaces naturels me plaît.
Un peu après 18h, j’atteins Le Boulou. À la recherche d’un point d’eau, je ne vois que des fontaines publiques condamnées. Je demande à une boulangère où en trouver : « À cause de la sécheresse, les fontaines sont fermées », me dit-elle.
Il est impossible de bivouaquer dans cette zone urbaine. Je décide de continuer pour m’enfoncer dans la nature. Après avoir traversé le centre de Maureillas, où je dîne sur une petite place, j’entame une montée qui doit se poursuivre jusqu’à la frontière. Il est temps de chercher un endroit pour dormir. En avançant sur la route départementale presque déserte, je me dis que cela va être difficile. À ma droite, se trouve la paroi de la montagne et à ma gauche, il y a un ravin. Mes yeux sont à l’affût d’un lieu adapté. Soudain, je remarque un espace surélevé et plat. Il y a quelques mètres entre un fil électrifié et le bord, qui donne sur la route. Il va falloir faire attention à bien fixer la tente par terre avec les sardines, pour ne pas tomber sur la route pendant la nuit.
J’escalade et me voilà à l’abri de la vue. Ce soir-là, je suis ravi de me coucher avant que le soleil se couche.
Jour 3 : Des trésors antiques sur mon trajet
Après une nuit complète, j’allume mon réchaud sur la route déserte. Impossible de savoir l’heure qu’il est puisque mon portable n’a plus de batterie.
Rouler le matin, juste après le lever du soleil, dans ce décor méditerranéen, est une expérience géniale. C’est ma période de la journée préférée pour faire du vélo.
Pendant la montée, une apparition me surprend dans un petit lieu-dit : une fontaine. Elle arrive au meilleur moment, puisque mes gourdes sont presque vides.
Les senteurs épicées délicieuses venant de petits arbustes au bord de la piste atteignent mes narines. Par ailleurs, les montagnes verdoyantes m’entourent.
Soudain, dans une descente, je remarque à ma droite des ruines romaines. En lisant un panneau explicatif, j’apprends que c’est l’endroit où se rejoignaient la via Domitia et la via Augusta.
Une autoroute du soleil, de Rome à l’Andalousie
Fin du IIe siècle avant J.C. : le sud de la Gaule vient d’être conquis. Le proconsul Domitius Ahenobarbus fonde la via Domitia (ou Voie Domitienne), pour relier Rome à l’Hispanie, elle aussi sous domination romaine. Cette toute première construction romaine en Gaule était constituée de terre et de graviers mais était pavée autour des villes. Elle passait notamment par la ville de Narbo Martius, l’actuelle Narbonne.
Elle rejoint le col de Panissars, où débute la via Augusta, qui prit le nom de l’empereur Auguste. Cette voie de communication allait jusqu’à Cadix, en Andalousie.
C’est là qu’a été construit le trophée de Pompée, un arc de triomphe qui célèbre les victoires militaires du général romain. En 71 avant J.C., il a franchi à cet endroit les Pyrénées pour aller mener une guerre en Hispanie.
J’ai le site archéologique pour moi tout seul. L’escalier récent mène aux pierres vieilles de 2 000 ans. Elles sont posées sur le sol, dans l’herbe. Je ne vois aucune construction haute. Le fait qu’il soit en accès libre et gratuit me ravit, et il me donne l’impression d’un trésor caché.
Peu après, j’atteins le col de Panissars, qui marque la frontière et où débute un chemin de gravel qui descend.
Mes doigts serrent mes deux poignées de freinage et mon vélo sursaute, mais tient le coup, sous les grosses pierres. Un nuage de poussière se crée sous mes pneus. C’est bien la partie la plus technique de la Pirinexus.
Des montées s’enchaînent, ce qui impose de poser le pied par terre. Un gravel ou un VTT aurait leur chance ici, mais pas un VTC.
Soudain, un chemin bétonné apparaît. Puis, le bourdonnement de l’autoroute qui mène qui mène à La Jonquera, la 1ʳᵉ ville du côté espagnol, se fait entendre. Le nombre de poids lourds qui l’empruntent m’impressionne.
Je traverse le centre de la ville célèbre pour la prostitution ainsi que la vente de cigarettes et d’alcool pas chers. Les panneaux de la Pirinexus me mènent jusqu’à une piste bétonnée. Je pousse sur mes jambes et passe à une vitesse inférieure. Heureusement, il ne fait pas encore très chaud, malgré la présence du soleil.
Des vignes apparaissent. C’est le signe que j’attendais : le village viticole de Capmany. Une terrasse de café où sont assis des hommes âgés discutant en catalan m’accueille. C’est l’endroit idéal pour prendre un café et recharger mon portable.
J’hésite à visiter une des nombreuses propriétés viticoles du village. Puisqu’il n’est que 10h30 et qu’il fait encore frais, autant en profiter pour avancer. Je pourrai visiter une bodega dans la prochaine localité, Peralada.
Après avoir franchi le panneau qui annonce l’entrée de ce village, je m’arrête pour remplir mes gourdes sur une petite place. Un couple de cyclistes est assis. L’homme me dit :
– « Tu fais aussi la Pirinexus ?
– Oui ! Je veux la finir en 4 jours et je dors en tente dans la nature ».
Pepe et Rosa vivent à Valence. Lui a l’habitude de faire du cyclotourisme, elle moins. Je suis à nouveau ravi de pratiquer une langue étrangère et d’expérimenter la fraternité entre cyclistes. Les échanges sympathiques avec les autres aventuriers, en particulier s’ils sont étrangers, enrichissent mon périple. Nous nous quittons après avoir échangé nos numéros pour nous retrouver à Gérone.
À l’office de tourisme de Peralada, on me dit qu’une seule propriété viticole se visite, pour 25 €. Elle mentionne que c’est un grand domaine, et que la visite est « commerciale ». Le prix est élevé et l’expérience ne m’attire pas tant que ça. J’aurais dû visiter une bodega à Capmeny.
Ensuite commence une zone plate recouverte de vergers. J’admire les rangées de pommiers qui s’étendent sur de grandes surfaces. Pepe et Rosa me rejoignent. Nous roulons ensemble jusqu’à L’Escala, où la mer fait son apparition. Ils vont dormir dans un camping ici. Je roule quelques centaines de mètres de plus, pour visiter les ruines d’Empúries.
Situé juste derrière la plage, le site offre une superbe vue sur la mer et il m’impressionne par sa superficie. L’esprit entrepreneurial des Grecs phocéens qui ont fondé la ville me fascine. Ils faisaient notamment le commerce, par bateau, d’huile d’olive et de vin. J’avance là où se trouvait la porte d’entrée de la ville, puis au milieu des anciennes maisons et temples. Cependant, je lutte contre la fatigue pour écouter les explications de l’audioguide.
Après avoir visité le petit musée, je poursuis mon chemin vers l’arrière du site. C’est la partie romaine, plus récente.
Je vais jusqu’au bout du parcours, mais je ne suis pas ce que me dit l’audioguide, par manque de concentration. Pourtant, les explications sont très claires.
Il est 19h, l’heure du pique-nique. Cette fois-ci, je mange sur une plage fréquentée mais située à l’écart du centre-ville. Je suis soulagé lorsque j’ai terminé mon repas, car cela veut dire qu’il ne me reste plus qu’à trouver un endroit où poser ma tente.
Le tracé de la Pirinexus passe à nouveau au milieu d’immenses vergers. Dans l’un d’eux, je me dis que l’endroit serait idéal : calme, à l’abri des regards et plat. Deux personnes se promènent dans l’allée centrale :
– « Vous êtes les propriétaires ?
– Oui.
– Est-ce qu’il serait possible de poser ma tente pour la nuit ici ?
– Bien sûr, vous avez besoin d’eau ? »
Quelle hospitalité ! Je monte ma tente entre deux rangées de pommiers, puis je vais remplir mes gourdes dans la maison. Leur famille est là. Ce sont des habitants de Gérone qui ont une propriété à la campagne. Merci à Esteban et à sa femme ! C’est un des endroits les plus charmants où j’ai posé ma tente.
Jour 4 : La joie de retrouver la mer
Je me réveille à 5h, mais j’attends le lever du soleil pour sortir. À ce moment-là, des travailleurs apparaissent, comme me l’avait dit Esteban. En reprenant le chemin, j’admire les grands champs de céréales et d’arbres fruitiers, notamment des pommiers, qui sont recouverts de filets.
Plusieurs fois, je me trompe de chemin. Il faut regarder l’itinéraire sur Komoot. Cependant, je préfère garder mon smartphone dans ma poche plutôt que de le fixer sur mon guidon, sous mes yeux. Même si j’emprunte parfois le mauvais chemin, cela m’aide à profiter du paysage.
Ce dernier devient petit à petit typique de la Costa Brava : des pinèdes et des arbustes aux senteurs exquises bordent la véloroute. À 11 h 30, j’arrive à Palamós, un lieu trop urbanisé pour que j’aie envie de m’y baigner. À la localité suivante, Sant Antoni de Calonge, je longe la voie cyclable de la promenade.
Voir la mer et savoir que je vais bientôt pouvoir m’y baigner me remplit d’excitation. Mon regard se porte sur un coin de plage où il y a peu de gens. En vérité, il y en a beaucoup, mais j’aperçois quelques espaces libres sur le sable. Le bain, qui élimine la transpiration et la saleté, est un moment de détente que je savoure.
Je recherche ensuite une douche de plage pour éliminer le sel, mais il n’y en a pas. C’est peut-être une conséquence de la sécheresse. Allongé sur ma serviette à moitié à l’ombre, j’entends des paroles en espagnol, et parfois en français. La proximité avec les voisins m’est inhabituelle, moi qui suis habitué aux plages peu denses de la côte Atlantique.
Quelques rues derrière le front de mer bétonné, le restaurant Kubansky m’accueille pour le déjeuner. En rentrant, je découvre une décoration soignée et croise des serveurs élégants. Je me dis qu’ils ont été gentils de me laisser entrer, vêtu de vêtements de sport et portant deux sacoches de vélo poussiéreuses à la main. Espérons que je ne sente pas mauvais.
Assis au comptoir, je suis ravi de manger un vrai repas, qui constitue une récompense. Après avoir dégusté le pan con tomate et les olives obligatoires, j’entame l’escilavada, une entrée froide à base d’aubergines, de poivrons et d’oignons, accompagnés de sardines fumées. Ensuite, place au plat principal : pieds de cochon et haricots blancs locaux. Je l’accompagne d’un verre de vin rouge de la région, l’Empordà, servi frais évidemment. ll faut bien soutenir l’agriculture locale. Je dois me forcer pour finir mon assiette, à cause de la quantité de nourriture, et je n’ai plus de place pour le dessert. L’ambiance conviviale et la sympathie des serveurs rendent mon repas encore plus agréable. Par ailleurs, il me semble que je suis le seul touriste ici : un bon signe.
La véloroute longe ensuite des cités balnéaires qui sont, d’après moi, sans intérêt. En passant devant les nombreux restaurants et boutiques pour touristes, je me demande où se trouve le plaisir dans ce genre de vacances.
Je me rends compte que la signalisation de la Pirinexus a disparu. Cela me fait faire des détours qui se terminent par un arrêt et un coup d’œil sur mon téléphone. Je suis soulagé lorsque je vois, à Sant Feliu de Guíxols, le panneau vert annonçant le début de la route du Carrilet II. Cette véloroute de bonne qualité constitue le dernier tronçon de la Pirinexus. Elle suit le tracé d’une ancienne ligne de chemin de fer et est goudronnée par endroits.
J’essaie de profiter du cadre en prenant mon temps. Ce sont les derniers kilomètres du parcours. Soudain, au début d’une montée, alors que je passe au plateau et à la vitesse les plus bas, ma chaîne se bloque à nouveau. Pas de panique.
Malheureusement, la chaîne ne sort toujours pas, comme le premier jour. Deux cyclistes espagnols me proposent leur aide, mais je refuse. Je tire de toutes mes forces sur la chaîne, mais elle reste bloquée. J’accepte alors l’aide de deux autres cyclistes. Leur équipement, leur vélo et leur tenue de cycliste me laissent penser qu’ils sont expérimentés.
Après avoir passé 10 minutes à essayer de décoincer la chaîne, l’un d’eux me dit qu’il faudrait casser la partie en plastique. Je lui explique que je préfère ne pas en arriver là. Ils essaient à nouveau : l’un fixe la chaîne sur les pignons et l’autre tire. Tac ! Elle se débloque. Il faut vraiment que je pense à ne plus utiliser la vitesse la plus basse lorsque je suis sur le premier plateau.
Après avoir traversé une zone boisée, j’arrive dans l’agglomération de Gérone. À 18h, je suis devant la gare, là où mon périple avait débuté. Il est l’heure de se reposer avant d’aller boire une bière avec Pepe et Rosa.