![Thessalonique et golfe Thermaïque, Grèce](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241105_151344-2-3-1024x765.webp)
Lorsque j’ai commencé à planifier mon séjour d’un mois en Grèce, je savais déjà que j’irai à Thessalonique. Une des raisons pour cela est que la deuxième plus grande métropole du pays offre une expérience différente des lieux ultra-touristiques que sont Athènes et les îles grecques.
Parti un vendredi matin de la gare de Bordeaux, j’ai atteint la ville après un trajet inoubliable en bus, train et ferry, et à vélo. Voici les découvertes, rencontres et mésaventures qui m’ont marqué pendant mon séjour.
Premières impressions dans un décor de béton
À la descente du bus, je vois les autres véhicules stationnés les uns à la suite des autres. De l’autre côté, des personnes attendent derrière des vitres. L’agitation règne dans l’immense gare routière surmontée d’un dôme de béton.
Je sors mon vélo de la soute et le place à l’écart des voyageurs qui passent sur le quai. Je cherche du regard un jeune homme qui a fait le même trajet et qui m’a prêté 15 €, le prix du supplément vélo, à Igoumenitsa. Je lui dis que je vais le rembourser plus tard aujourd’hui. Sa réponse est de sortir son portable et de réciter un extrait de l’Évangile disant à peu près ceci : « donne sans retour ». La réaction d’Igor n’est pas si surprenante que cela, puisqu’il va passer un mois dans un monastère du mont Athos, le lieu le plus sacré de l’Église orthodoxe grecque. Ce geste me fait chaud au cœur. J’insiste pour le rembourser et arrive à obtenir son numéro pour le retrouver plus tard.
Il faut trouver un endroit où charger mon téléphone qui n’a plus de batterie. Il y a plusieurs cafés dans la gare, mais impossible de trouver une prise. Par ailleurs, le brouhaha ne donne pas envie de rester ici. Je monte en selle et pars en suivant les voitures et bus. Ils doivent aller dans le centre-ville.
Dans une immense avenue, je passe devant de grands immeubles modernes qui forment une longue masse grise et moche. Les véhicules ne semblent pas faire attention à moi et me font peur. Certains me klaxonnent. Pourtant, je ne peux pas aller ailleurs, puisqu’il n’y a pas de piste cyclable. On est loin du Paris d’Anne Hidalgo ou du Bordeaux de Pierre Hurmic.
J’atteins des rues étroites où se trouvent de nombreux sans interdits. Il est difficile de les respecter. Fatigué moralement et physiquement, je vois, dans une rue tranquille, des étiquettes et posters contre le racisme et l’homophobie collés sur la vitrine d’un restaurant de pizzas.
À l’intérieur, les morceaux de rap old school créent une atmosphère détendue, renforcée par l’attitude des deux serveurs-cuisiniers sympathiques derrière le comptoir. Pour la première fois en 3 jours, je n’ai plus la sensation d’être sur la route.
– « Tu es venu d’Igoumenitsa à vélo ?
– Non, j’ai emporté mon vélo dans le bus. Par contre, ce week-end, je vais faire du vélo en Chalcidique.
– Ça, c’est faisable ! »
Ces quelques mots me réconfortent et m’apaisent. Après avoir mangé une part de pizza et rechargé mon portable, je rejoins l’appartement Airbnb. Pouvoir déballer mes affaires sans me dire que je vais devoir les remettre dans les sacoches le lendemain est appréciable. La présence d’un vrai lit est aussi appréciable, puisqu’une tente et un tapis de sol m’ont servi de couche lors des 3 dernières nuits.
Après avoir fait une sieste, je rejoins Igor dans l’église Hagios Demetrios, située non loin de mon appartement, pour lui rendre son argent. Il assiste à une messe. La plus grande église de Thessalonique, une agglomération d’environ 1 million d’habitants, me paraît petite. Je n’ai pas envie de m’attarder ici, même si les spécificités du culte orthodoxe attirent ma curiosité. Par exemple, je suis surpris de voir les fidèles s’approcher du pope et recevoir un sachet renfermant du parfum.
Ensuite, je me balade dans les rues. Me trouver dans une grande ville me ravit. Les rues bordées de petits lieux de restauration rapide me plaisent. Les gens me donnent l’impression de prendre le temps de vivre, malgré la circulation dense. Je vois des pâtisseries et feuilletés alléchants. Ils me rappellent la cuisine turque, mais dire cela aux locaux serait un faux pas.
Il est l’heure d’aller dormir, puisqu’il faut se lever tôt demain matin pour travailler à distance. Ce séjour n’est pas des vacances, et je sais, pour avoir déjà fait un voyage en tant que digital nomad, en Israël, qu’il est important de lisser la charge sur toute la durée. En d’autres mots, il est conseillé de faire des tâches dès le début.
![Thessalonique, Grèce](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241105_142017-1024x768.webp)
Quand l’Histoire cohabite avec la modernité
Au petit-déjeuner, je découvre un ustensile à la forme inhabituelle dans un placard de la cuisine. En reconnaissant une cafetière à café grec, je suis excité de me préparer une tasse. Pour savoir comment faire, je m’aide d’un tuto trouvé sur Internet. Je fais chauffer l’eau, mélangée à du café moulu et du sucre, sur une plaque de cuisson posée sur la table. Lorsqu’elle bout, je fais attention à vider le récipient sans verser de marc. Je déguste la délicieuse boisson au goût un peu plus léger que le café que je bois en France.
Après une matinée de travail à l’appartement, je sors, armé de mon Guide du routard, à la découverte des églises byzantines inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il faut profiter du soleil avant qu’il ne fasse nuit. Je travaillerai à nouveau ce soir.
Première étape : Hagios Demetrios. Elle me paraît plus grande qu’hier soir. L’édifice est majestueux, mais je n’ai pas envie de rentrer à nouveau à l’intérieur.
Les yeux sur la carte, je me dirige ensuite vers d’anciens bains ottomans. Le café qui se trouvait dans le bâtiment construit en belles pierres a fermé ses portes. J’aperçois des tables sales et des chaises renversées à travers la barrière. Il a dû être victime des difficultés économiques de la Grèce. Ce n’est pas le 1er bâtiment inoccupé que je vois dans la ville.
Les multiples influences de Thessalonique
« …ces admirables et terribles juifs de Salonique » : c’est en lisant « Si c’est un homme », de Primo Levi, que j’ai entendu pour la première fois parler de cette ville, sous son nom ottoman. Rattachée à l’Empire en 1430, la cité a vu arriver des Juifs expulsés d’Espagne en 1492. Ils jouissaient d’une grande liberté et cohabitaient avec les autres communautés, dont les Grecs et les Turcs. Après la Seconde Guerre mondiale, il ne restait presque aucun habitant juif à Thessalonique, alors qu’ils représentaient deux tiers de la population au début du XXe siècle.
On observe de nos jours de nombreuses traces des périodes de domination de la cité :
- Monuments romains, Thessalonique ayant servi de résidence temporaire à 2 empereurs, Galère et Théodose
- Églises byzantines construites au cours d’une période allant du IVe au XVe siècle
- Édifices vénitiens, comme la Tour blanche, un des symboles de la ville
- Mosquées ottomanes, qui ne servent plus au culte depuis que la ville a été incorporée à la Grèce, en 1912, pendant la Première Guerre des Balkans
Soudain, l’architecture change. Les bâtiments sont de couleur jaune ou bleu, et non pas gris. De plus, ils sont en meilleur état que ce que j’ai vu jusqu’ici. Ces éléments m’indiquent que je viens de pénétrer dans le quartier de la ville haute (Ano Poli).
J’atteins le monastère de Vlatadon au bout d’une rue sinueuse charmante. Des grilles marquent l’entrée d’un jardin. Au fond de celui-ci, j’admire la vue sublime sur la ville qui s’étend en contrebas jusqu’à la mer. Les habitants ont dû bâtir les habitations en remontant. À ma droite, les porte-conteneurs et grues s’élancent dans le port. Plusieurs bateaux se trouvent déjà sur l’immensité bleue. Ils vont livrer leurs marchandises en Europe de l’Ouest, en Asie, ou plus près, à Athènes.
Après avoir marché pendant 15 minutes, j’arrive à une autre église byzantine, l’Osios David. Elle aussi nichée dans un jardin accueillant, elle offre une vue sublime. Je remarque 3 personnes assises sur un banc, au fond. Je porte un pantalon, ce qui me permet de rentrer sans problème. À l’intérieur, j’entends des paroles qui viennent d’un recoin sombre. Les deux personnes chuchotent presque. Il s’agit d’un pope et d’une femme, qui doit se confesser. Soudain, je comprends que les personnes dans le jardin attendent d’entrer pour faire la même chose.
Je prends le temps de regarder la belle mosaïque représentant le Christ et un arc-en-ciel. Le fait que l’église date du Ve siècle la rend fascinante. J’entends le pope dire quelques mots, qui doivent être une prière, ce à quoi la femme répond « amen ».
La balade continue dans le quartier calme semblable à un petit village. La qualité de vie semble bien meilleure que dans la ville basse, notamment parce que la circulation routière est moins dense. Cependant, à cause des escaliers, l’endroit n’est pas adapté aux vélos.
Un haut rempart apparaît le long d’une rue. Mon guide m’apprend qu’il s’agit de fortifications qui entouraient la ville. Celui devant moi est byzantin et doit mesurer 4 mètres. Je vois des touffes d’herbe sortir par endroits, entre les pierres. La qualité du travail des hommes qui l’ont construit m’impressionne.
![Muraille à Thessalonique, Grèce](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241105_152239-1024x768.webp)
En longeant le mur, j’atteins le quartier de l’heptapyrgion (les 7 tours). Je vois plusieurs tours le long de la muraille, mais pas 7.
Des escaliers se faufilent entre les maisons, et plusieurs chats se trouvent sur mon chemin. D’habitude, quand je déambule dans une ville et que je vois un chat, je m’arrête et m’approche. Il y en a tellement ici que je ne peux pas tous les saluer.
À la sortie de la ville haute, je remarque un café dont la façade porte les mots « çay » et « kahve », thé et café en turc. Voir cette langue en Grèce me surprend. Est-ce que les propriétaires subissent des discriminations ? Puis, je vois un mot commençant par « kurd ». Il s’agit peut-être d’un café géré par des Kurdes de Turquie.
De l’autre côté de la rue, une belle maison d’angle à la façade rose pâle s’élève. Un de ses murs est orné d’une plaque. Je découvre avec surprise qu’elle est traduite en français et qu’elle a été posée dans les années 1930. L’édifice est la maison natale d’Atatürk. Autant la visiter tout de suite, puisqu’elle est à mon programme.
Je passe un portique de sécurité, gardé par plusieurs personnes qui ne me demandent pas de payer. Bonne surprise !
Un drapeau turc flotte dans la cour intérieure végétalisée. Il s’agit donc du consulat. Je ressens de l’excitation d’être ici, moi qui ne suis jamais allé en Turquie. Par ailleurs, la vie d’Atatürk m’intéresse.
À l’intérieur de la maison, il y a de nombreuses photos et des textes précis. Le lieu est « le 1er endroit où les Turcs en visite à Thessalonique doivent se rendre ». En écoutant des jeunes parler turc près de moi, je me dis que la consigne est suivie à la lettre.
J’apprends de nombreuses choses sur l’homme d’État. Une d’elles est que sa famille s’était installé dans la région de Macédoine plusieurs siècles avant sa naissance. Je mesure le degré d’enracinement des Turcs à Thessalonique, et imagine que leur départ a dû être très difficile.
Un de ses bulletins scolaires est visible. Je remarque qu’il apprenait le français, la seule langue étrangère visible sur le beau document écrit à la main. À l’époque, c’était la langue internationale, comme l’anglais aujourd’hui. Cela confirme l’impression que j’ai eu en voyant la plaque à l’entrée.
Par ailleurs, les objectifs superlatifs utilisés pour le décrire m’indiquent son importance pour la construction de la nation turque.
![Musée dans la maison natale d'Atatürk à Thessalonique, Grèce](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241105_163003-1024x768.webp)
Ensuite, je vais voir une autre église byzantine, la magnifique et imposante Agia Sofia. Depuis l’extérieur, j’admire la tour, un ancien minaret, qui s’élève à gauche de l’édifice. Une femme d’une quarantaine d’années, vêtue de façon moderne, en jean et baskets, s’approche de l’entrée du site. Elle allume un cierge dans une petite niche et téléphone en même temps. En tant que Français, vivant dans un pays laïc, cette scène me surprend.
À voir son état de conservation, il est difficile de croire qu’elle date du VIIe siècle, comme le dit mon guide. Je demande des précisions à un homme chargé de l’accueil. Dans un très bon Anglais, il me dit que la plupart des décorations qu’on peut voir aujourd’hui sur les murs intérieurs sont l’œuvre des Ottomans, qui ont gardé la structure d’origine du bâtiment. Il me montre ensuite une peinture murale qui date du VIIe siècle. On voit en effet que les figures représentées portent la marque des siècles.
« Lève les yeux : les mosaïques sur et autour de la coupole ont été créées au VIIe et XIe siècles. Les matériaux utilisés les rendent plus solides que les peintures ».
J’admire l’œuvre qui représente le Christ entouré d’une dizaine de personnes, sûrement des apôtres.
Plus loin, devant un bel et imposant édifice ottoman, la mosquée Hamza-Bey, je vois une construction en verre derrière des barrières. Des hommes travaillent sur le chantier, celui du métro de Thessalonique. D’après mon guide, il devait ouvrir en 2023. Finalement, il a été inauguré une semaine après ma venue, en novembre 2024.
Ici, les occasions de voir l’Histoire et la modernité s’entremêler ne manquent pas. Un autre soir, je passe devant une terrasse animée, fréquentée par des jeunes Grecs et située à côté de l’agora romaine. Cet espace s’étend sur tout un pâté de maisons, en plein centre-ville.
Le lendemain, je vais faire une de mes activités préférées : visiter un marché. Le plus grand de Thessalonique est celui de Modiano. Il me rappelle le marché de Mahané Yehuda, à Jérusalem, car il est couvert par endroits, accueille de petits restaurants et cafés, et de larges stands bordent ses allées.
![Primeur dans le marché Modiano de Thessalonique.](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241106_134502-1024x768.webp)
Je recherche un lieu de restauration qui ne soit pas touristique. De l’autre côté, de la rue qui coupe le marché en deux se trouvent plusieurs petits restaurants. Un d’eux, à la décoration simple, m’attire. D’une part, parce que les prix sont abordables, ce qui va m’aider à rester dans mon budget nourriture de 10 €/jour. D’autre part, une décoration négligée est, d’après moi, un signe que la nourriture a un bon rapport qualité-prix.
Dès que je rentre, un serveur accueillant m’invite à voir les plats dans la cuisine, située au fond de la pièce. Tout m’a l’air délicieux : poisson blanc, porc en sauce, poulet, boulettes de viande… Les accompagnements, comme le combo et les haricots verts, me donnent aussi l’eau à la bouche. Je choisis une soupe de poulet, pour me réchauffer, des boulettes de viande et des courgettes. Je me demande si le choix aventureux de la boulette de viande était le bon. Bonne surprise : elle est délicieuse.
Ouvrir son esprit, obtenir un point de vue neuf
Vers 23h30, je marche pour rejoindre le quartier de la fête, accompagné par le flot de voitures incessant qui avance au rythme des feux de signalisation. En bon peuple méditerranéen, les Grecs sortent tard le soir. Je suis le 1er client dans la boîte, et un des barmans m’adresse la parole en voyant que je ne suis pas d’ici. Cet échange me ravit car il est sympathique et me permet d’apprendre des choses sur la vie des locaux. Il est étudiant en médecine et fait plusieurs petits boulots. Je me dis qu’il est courageux, et encore plus fort quand il m’explique que les médecins grecs sont payés environ 1 200 €/mois en sortie d’études. Ce témoignage me fait sentir privilégié. Plusieurs personnes rencontrées pendant la soirée me diront qu’elles vivent ici l’hiver et travaillent sur une île, telle que Mykonos ou Corfou, pendant la saison.
![Promenade au bord de la mer à Thessalonique.](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241108_121344-1024x768.webp)
Le lendemain, je décide d’aller au bord de la mer, que je n’ai vu que de loin. Pendant que je marche le long de l’immense promenade bordée de beaux immeubles, je ressens les rayons du soleil sur mon visage, ce qui me détend et me donne le sourire. Soudain, je vois avec surprise une piste cyclable, qui longe la promenade. Il y a donc des voies pour vélos dans la ville ! En marchant, mes pensées s’éclaircissent et je me rends compte que je veux parler à des gens. Depuis mon départ de France, je ne suis pas dans un état d’esprit d’aller vers les autres, alors que c’est un des aspects des voyages seul que je préfère. Cela demande des efforts, et mon travail me prend déjà beaucoup d’énergie.
L’occasion se présente quand je vois un cycliste assis à côté d’un vélo équipé de larges sacoches. Pas de doute, il voyage en itinérance.
– « Où vas-tu ?
– Je suis parti de chez moi, en Suisse, pour 1 an. J’ai traversé l’Autriche et les Balkans, et suis arrivé à Thessalonique il y a 2 semaines. Je n’ai pas encore prévu la suite de mon voyage.
– Où est-ce que tu dors ?
– Dans ma tente, un peu à l’écart du centre-ville ».
J’imagine qu’il est difficile de trouver un coin calme dans cette grande ville bruyante. Par ailleurs, je trouve que c’est un choix extrême de quitter son travail et son logement pour voyager aussi longtemps. Thomas ne gagne pas d’argent pendant ce temps, ce qui limite les possibilités de faire des activités ici. Par ailleurs, dormir en tente tous les jours pendant un an serait trop inconfortable pour moi. Il me dit qu’il veut avoir plus de contacts sociaux. C’est aussi mon cas.
Une rencontre manquée avec les rois de Macédoine
Le site antique d’Aigai, situé dans le village actuel de Vergína, à environ 60 km de Thessalonique, est sur ma liste de lieux à visiter. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, c’était la capitale du royaume de Macédoine.
Vers midi, à la gare routière, alors que j’attends dans la file pour acheter mon billet pour la petite ville de Véria, je me rends compte que j’ai oublié mon cadenas à l’appartement. Pas le temps d’aller chercher. Espérons qu’il y aura des espaces sécurisés au musée.
La femme derrière la vitre est froide et fait son travail de façon machinale. Elle me dit que je peux mettre mon vélo dans le bus sans payer de supplément, ce qui me surprend. J’avais lu avant mon départ qu’il fallait payer un peu plus, mais cela doit concerner uniquement les trajets longue distance.
Ce n’est pas la 1re fois que des employés de compagnie de bus sont désagréables depuis mon arrivée dans le pays. Est-ce qu’elles n’aiment pas parler anglais ? Se comportent-ils ainsi de façon générale ? J’ai peut-être manqué de chance.
Le chauffeur de bus me demande d’enlever une roue avant de mettre ma monture dans la soute. Je n’ai jamais fait cela, mais n’ai pas le choix. La roue sort sans problème, et il faut récupérer le ressort et le capuchon. Je les place dans la petite poche intérieure de mon short.
Lorsque le bus se met en route, la dame assise à côté de moi fait un signe de croix. Elle doit prier pour que nous n’ayons pas d’accident. À nouveau, l’ostentation de la foi des Grecs me surprend. Lorsqu’on nous arrivons à Véria, 1 heure plus tard, c’est au tour du chauffeur de faire un signe de croix.
Je remonte ma roue puis sors mon téléphone portable pour regarder le chemin. Il y a à peu près 10 km à parcourir.
Lorsque des voitures me dépassent à toute allure, je suis content de porter un gilet jaune. Certains chauffeurs tournent la tête vers moi, surpris de voir un cycliste ici.
J’admire la plaine de Macédoine, grandiose, à ma gauche, et les massifs verdoyants, à ma droite. Dans un virage, un panneau portant la mention : « St Paul’s route » apparaît. Le visage du saint est représenté. 2 000 ans après ses actions dans la région, on parle encore de lui.
Après environ 45 minutes de trajet, j’aperçois un bâtiment blanc moderne, situé derrière un petit champ d’oliviers. C’est le musée polycentrique d’Aigai, qui a ouvert fin 2022.
Devant les portes vitrées de l’entrée, un homme me dit : « no bike ! »
Je le laisse à l’extérieur et entre pour chercher un endroit sécurisé. Les employées m’indiquent qu’il est interdit de laisser mon vélo dans une pièce à l’intérieur. Dehors, les lieux sont sûrs, mais qu’ils n’assument pas de responsabilité en cas de vol.
Je parcours les environs du bâtiment, à la recherche d’un endroit pour le cacher. En vain : les oliviers ne protègent pas assez de la vue. Même s’il y a très peu de monde, je préfère ne pas prendre le risque de me faire voler.
Je me dis que j’aurais dû prendre plus le temps de préparer mes affaires. Il n’est pas sûr que je revienne ici, étant donné mon planning chargé.
Un plan indique que le site se compose de plusieurs lieux d’intérêt. Je suis des panneaux qui me mènent jusqu’à un chemin de gravel. Je pousse sur mes jambes, mais dois poser le pied à terre quelques dizaines de mètres plus loin. Les grosses pierres et l’inclinaison rendent le terrain presque impraticable à vélo.
Le soleil commence à se coucher, et je n’ai toujours rien vu de l’ancienne capitale. Je trouve les lieux mal balisés, ce qui explique peut-être qu’ils soient si peu fréquentés. C’est d’autant plus surprenant qu’Aigai est censé être un des sites archéologiques les plus importants de Grèce.
Juste après avoir fait demi-tour pour rentrer à Véria, deux randonneurs apparaissent. Je vais les voir pour être sûr de ne pas rater quelque chose.
– « Bonjour, est-ce que vous parlez anglais ?
– Oui.
– Est-ce qu’il y a quelque chose à voir en continuant sur ce chemin ?
– Oui, vous n’êtes plus très loin des ruines antiques.
– Est-ce que c’est gratuit ?
– Oui ! Nous avons préféré aller là-bas qu’au musée pour être dans la nature. »
Ces paroles me remontent le moral et atténuent ma déception. La femme, dont l’accent laisse supposer qu’elle est hollandaise, me montre des photos du site. De magnifiques mosaïques et des vieilles pierres sont visibles.
Au bout d’une montée, j’atteins le palais érigé par le roi de Macédoine, Philippe II, au milieu du IVe siècle avant J.-C. Son fils, Alexandre le Grand, a été couronné ici. J’imagine l’effervescence qui devait régner sur ces lieux en ce moment si silencieux.
Un homme seul, chargé de la sécurité, s’y trouve. Son métier doit être ennuyeux, mais il travaille en extérieur, dans un cadre aux patrimoines historique et naturel riches. Il me pose des questions sur mon vélo. Il semblerait que je sois l’un des seuls touristes à me déplacer de cette façon ici.
![Palais d'Aigai, Vergina, Grèce.](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241108_161917-1024x768.webp)
Je trouve les ruines assez banales. Des colonnes partiellement détruites, complétées par des éléments récents, s’alignent, bordées par de belles mosaïques au sol. Y passer beaucoup de temps ne m’intéresse pas. En revanche, l’importance de l’endroit est fascinante. Un livre sur le grand conquérant lu avant de partir en Grèce a éveillé ma curiosité pour les lieux marqués par ce personnage.
Aigai, point de départ d’une conquête inédite
Alexandre le Grand a été sacré en 336 av. J.-C. dans le palais d’Aigai, mais, une fois roi, il n’a pas passé beaucoup de temps ici.
Son père, assassiné la même année, avait hérité en -359 d’un petit État périphérique, la Macédoine, sous la menace des cités grecques, comme Athènes, qui les considéraient comme des Barbares. Il faut dire que les Macédoniens ne parlaient pas la même langue et n’avaient pas mis en place la démocratie, eux. Sous son règne, le Royaume fondé au VIIe siècle prit une autre dimension. Grâce à ses qualités de diplomate et de chef militaire, Philippe II conquit la quasi-totalité de la Grèce. Une autre de ses réalisations majeures a été l’installation de la capitale à Pella, à quelques dizaines de kilomètres d’Aigai.
Son action servit de base aux conquêtes de son fils, qui étendit le monde grec à l’Égypte, la Mésopotamie et l’Asie centrale, jusqu’aux confins de l’Indus.
Sur le chemin du retour vers Véria, la déception est toujours présente car la visite des musées est un incontournable de la région.
Pourquoi mon retour à Thessalonique a valu la peine
Après ces 4 jours, j’ai fait du vélo en Chalcidique, pendant un week-end. Ensuite, j’ai passé une semaine chez un producteur et marchand de produits bio dans la région, à environ 1h30 de Thessalonique, en tant que WWOOFer. Avant de partir vers le sud, à Athènes, j’ai voulu y retourner car j’avais la sensation de ne pas avoir assez profité de la cité. Son atmosphère détendue, son patrimoine historique et l’accueil chaleureux de plusieurs personnes, dont mon hôte Airbnb, ont motivé ma décision. J’y ai passé deux jours de plus, et ai saisi cette occasion pour visiter les sites d’Aigai que j’avais ratés.
![Arc de Galère, monument romain à Thessalonique, Grèce.](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241119_113444-1024x768.webp)
À la sortie du bus, à la gare de Ktel Chalkidikis, je remonte ma roue avant et rebranche le fil de ma dynamo. Cette opération est une formalité. Sur le chemin vers le centre-ville, la joie m’envahit. Je ressens le sourire sur mon visage et mon regard est à l’affût de ce qui m’entoure.
Une file de voitures avance au pas. Je me glisse entre elles en faisant attention de ne pas les heurter avec mes sacoches volumineuses. Ce sport me plaît. Le bruit des véhicules, de leur klaxon et des passants ne me dérange pas. Après 10 jours passés dans un village et dans la nature, je suis ravi de retrouver la vie urbaine. De plus, la cité m’est familière.
Avant de joindre le même appartement Airbnb qu’il y a 2 semaines, je fais une machine dans une laverie automatique. Le programme dure 25 minutes, ce qui me laisse le temps de découvrir à vélo les monuments romains situés en plein centre-ville.
Le 1er sur mon chemin est la Rotonde, un grand bâtiment circulaire. Il est fermé, tant pis. Je continue jusqu’à l’Arc de Galère. Mon guide me renseigne sur l’histoire de l’édifice bien conservé. J’apprends qu’il porte le nom d’un empereur romain du IVe siècle et commémore sa victoire sur les Perses. J’admire les détails gravés sur les deux larges piliers. Ils représentent des soldats de façon très réaliste. Cela rend les faits historiques plus réels. Les belles briques de l’édifice me fascinent aussi, car elles sont en bon état. Elles ont vu passer des millions de gens, comme ces personnes que je vois attendre, les yeux derrière leur smartphone. Le lieu doit être un point de rencontre apprécié des locaux.
Après cette courte visite, gratuite et en accès libre, je vais jeter un œil à l’église Saint-Pantaléon, un autre édifice byzantin. Elle est nichée entre des immeubles d’habitation couverts de tags, que je trouve laids.
Je dépose mon vélo devant la laverie avant de rentrer à l’intérieur. Mauvaise surprise : mon tapis de sol n’est plus sur mon porte-bagage. Soit il est tombé en roulant, soit quelqu’un me l’a volé lorsque j’attendais. Ce n’est pas grave, il a coûté moins de 20 € et je n’ai pas prévu de dormir dans ma tente jusqu’à la fin de mon voyage.
Le lendemain, je vais à Vergína. Sur le trajet, je passe à nouveau sur un pont qui traverse un petit lac. Le reflet des massifs aux couleurs automnales est sublime. Il y a 2 semaines, les feuilles n’avaient pas encore pris cette teinte orangée, il me semble.
![Paysage entre Véria et Vergina, en Macédoine, Grèce.](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241120_145546-1024x768.webp)
Cette fois-ci, j’attache ma monture devant le musée avec mon cadenas. Avec le recul, ne pas le visiter était une bonne décision. L’intérieur, propre, spacieux et blanc, a un aspect neuf qui me surprend, car j’ai vu peu de bâtiments modernes depuis mon arrivée en Grèce.
L’humidité de la transpiration se fait sentir dans mon dos et mes jambes. Cela fait partie des charmes du cyclisme. En passant devant l’accueil, je me demande si mon odeur dérange les employées.
La visite commence par une pièce dans laquelle je vois des petits objets datant de l’âge d’or de la Macédoine. Il y a notamment des pièces de monnaie portant le visage d’Alexandre le Grand. Au fond se trouve une carte immense qui indique les lieux où s’est rendu le conquérant, de la Macédoine jusqu’aux abords de l’Indus. Je vois peu d’explications qui pourraient mettre ces éléments dans le contexte, et ce début de visite m’ennuie.
Ensuite, je rentre dans une cour intérieure. Il s’agit d’une restitution du palais royal d’Aigai. L’endroit épuré est dominé par le blanc. Je le trouve magnifique, mais des informations manquent pour l’apprécier. Les parties en pierre qui apparaissent par endroits doivent venir du palais d’origine que j’ai vu il y a 2 semaines. Après avoir porté mon regard sur quelques reconstitutions de sculptures, je reviens à l’intérieur. Le parcours mène à des salles contenant de nombreux objets qui évoquent différents aspects de la vie dans le Royaume de Macédoine.
Il y a d’abord une partie consacrée aux soldats, où se trouvent des armes et des boucliers. Ensuite, je vois des objets de la vie quotidienne, comme des lampes, des bijoux et des vases. La diversité et la quantité des pièces me fascinent. Par ailleurs, j’apprécie la qualité des explications qui les accompagnent.
Je lis ensuite un texte qui retrace l’histoire du Royaume et de ses souverains. Il aurait été utile de le placer au début de la visite pour avoir une vue d’ensemble.
À la fin du parcours, je vais voir une employée du musée :
– « Je n’ai pas vu les tombeaux des rois de Macédoine, c’est normal ?
– Oui, elles ne se trouvent pas ici mais dans l’autre musée, à environ 1 km d’ici. Dépêchez-vous, il ferme dans une heure. »
Décidément, les explications sur l’organisation du site manquent. Je remonte sur mon vélo et pars dans la direction des ruines que j’avais visitées lors de mon 1er passage. Un groupe de touristes sortent par un portail et entrent dans des bus. Heureusement qu’ils étaient là car sinon, j’aurais eu du mal à trouver l’entrée. Je pénètre dans un jardin puis dans un bâtiment souterrain.
L’espace intérieur est plongé dans une semi-obscurité. Cea crée un caractère mystérieux et secret qui me plaît. Une maquette attire ma curiosité. Elle permet de comprendre l’agencement des tombeaux.
En avançant, je découvre un large escalier en bois. Je vois en bas une façade majestueuse éclairée. Tout s’éclaire : le musée a été construit sur les tombeaux. L’édifice bien conservé qui se trouve devant mes yeux est celui de Philippe II. Il me fascine, notamment parce qu’il se dresse dans la pénombre. On dirait que le temps ne l’a pas beaucoup affecté.
![Tombe de Philippe II de Macédoine à Aigai, Grèce](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241120_162923-1024x768.webp)
Contrairement à ce que j’imaginais, le tombeau est un grand bâtiment qui contient plusieurs pièces. Les effets personnels du roi, trouvés dans le monument funéraire, se trouvent dans la salle d’exposition principale. J’admire son armure, ses armes et ses bijoux. Tous sont très bien conservés. Philippe II devait être égocentrique et courageux.
À ce moment-là, je me rends compte de l’importance du site. Quelle probabilité y a-t-il de trouver le tombeau d’un personnage historique aussi important ? Peut-être qu’un jour, le tombeau d’Alexandre le Grand sera, lui aussi, découvert.
Mon regard se porte sur plusieurs vases, sûrement en argent. Je suis émerveillé parce qu’ils pourraient avoir été fabriqués il y a quelques mois, alors qu’ils datent d’il y a près de 2 500 ans. Les objets rendent les personnes enterrées ici réelles à mes yeux.
Ensuite, je découvre 2 autres tombeaux, mis en avant de la même façon que le premier. Ils sont un peu moins grands que celui du roi, mais ont une apparence similaire. Un demi-frère et un fils d’Alexandre le Grand devaient reposer ici.
![Armure, armes et bouclier de Philippe II de Macédoine à Aigai, Grèce](https://pierrelereporter.com/wp-content/uploads/2024/12/20241120_163558-768x1024.webp)
Le lendemain, avant de prendre mon train pour Athènes, je vais déjeuner dans un restaurant de fruit de mer conseillé par mon hôte. Le lieu, Ouzomania, est une auberge dont la convivialité doit beaucoup à la sympathie du maître des lieux. Tout en écoutant la musique traditionnelle grecque, j’admire la décoration originale et chargée, qui me plaît.
Je vois entrer deux couples d’amis âgés, très beaux, dans le restaurant vide. Ils discutent, un verre d’ouzo à la main pour les messieurs, et piochent à la main dans des plats posés au milieu de la table. Je me dis que les habitants profitent de la vie.
Après avoir mangé le maquereau fumé et le saganaki de crevettes, une délicieuse soupe, je me jette à nouveau dans le flot de voitures. La grande ville me laisse une impression d’authenticité et d’insouciance.