À la rencontre des libraires du salon du livre ancien

Le salon du livre ancien de Bordeaux est un rendez-vous annuel qui rassemble une vingtaine de libraires. Lors de l'édition 2024, plusieurs d'entre eux m'ont parlé de leur activité. J'y ai aussi découvert des textes surprenants.
Des livres présentés sur une table sur le salon du livre ancien de Bordeaux

J’ai décidé de revenir sur le salon du livre ancien de Bordeaux car l’édition de l’année dernière m’avait plu. La cour Mably, lieu élégant et ancien du centre-ville, m’avait émerveillé. J’y avais trouvé des ouvrages fascinants par leur rareté et leur ancienneté. Enfin, les rencontres avec les libraires et un auteur m’avaient enrichi.

Cette année, est-ce que les mêmes libraires seront présents ? Comment en sont-ils venus à faire ce métier ? Quels ouvrages originaux vais-je trouver ?


Des textes aux formats inattendus

Ce samedi après-midi, il fait beau. Je pénètre dans le vestibule grandiose. J’y admire des inscriptions, gravées dans une plaque de marbre fixée sur la pierre blonde, qui retracent l’histoire du lieu et présentent ses différentes fonctions au fil des siècles. En marchant sur le sol lisse fait de pierres taillées, j’aperçois au fond, dans la cour, des caisses pleines de livres.

Je rejoins l’allée qui fait le tour de la cour. Je vois tout de suite des visages que je connais de l’année dernière. Tout en passant devant eux, je ressens le froid sur mes mains et sur mon visage. Il doit faire moins de 5 °C et le soleil, caché par les belles arcades, ne peut pas me réchauffer. Il va falloir me déplacer pour ne pas m’enrhumer.

Puis, je vois un mur qui marque la fin de l’allée. Le propriétaire du stand est là, en train de discuter avec un visiteur. Le bruit de leur échange brise le silence. Je patiente pour aller lui parler en admirant les ouvrages alignés sur des tables en U. Ils forment une masse diverse car la couleur des tranches varie, entre le blanc des livres de poche récentes et le noir des grands ouvrages illustrés, en passant par l’élégant marron des livres âgés de plusieurs décennies.

Soudain, je vois des journaux. Le libraire, qui a fini de parler avec le visiteur, les a achetés dans le cadre d’une succession : « Ils étaient pliés, comme lorsqu’ils sont sortis de l’imprimerie ».

Le papier fin me glisse sous les doigts. Lorsque je remarque la date de l’un des journaux, le dimanche 5 septembre 1897, j’ai l’impression que le temps s’est arrêté. Je prends ce journal comme une photographie de son époque. Sa Une, illustrée d’un dessin en couleurs, est élégante. Il représente deux chefs d’État, en tenues civile et militaire, dans une voiture tirée par des chevaux. En fond, je distingue des drapeaux français. Produire une illustration comme celle-ci doit représenter plus de travail que de prendre une photo. La légende indique : « Le président de la République en Russie ». L’homme en uniforme militaire doit être le tsar Nicolas II. Cependant, je n’arrive pas à déterminer le nom du président français, ni la raison de sa visite.

Le Petit Journal du 5 septembre 1897

À quelques mètres de là se trouvent des livres de poche récents rangés dans des caisses de vin. L’un d’eux, écrit par Jacques Attali, attire mon regard. J’ai lu plusieurs ouvrages de cet auteur, mais pas celui-là, le volumineux Dictionnaire Amoureux du Judaïsme. Je décide de ne pas l’acheter. D’une part, parce que ce n’est pas le but de ma visite sur le salon. D’autre part, parce que les publications de Jacques Attali ne m’intéressent plus autant qu’avant. Je cherche désormais plus des romans que des essais.

Je rentre dans la salle capitulaire, qui jouxte la promenade de la cour Mably, pour poursuivre mon exploration au chaud. À côté de l’entrée, il y a un homme debout devant des tables couvertes d’ouvrages. Il semble être dans sa vingtaine, ce qui me donne envie d’en savoir plus sur son parcours.

– « D’où vous vient votre passion pour les livres ?

– Ce métier m’est venu en accompagnant des gens de ma famille qui allaient sur des salons pour acheter. Je ne suis pas un grand lecteur. Ce qui m’attire depuis que je suis gamin, c’est l’objet livre ».

Le libraire, Simon Elgrishi, me rappelle Thierry, le propriétaire de la brocante Au Dénicheur, un passionné d’objets anciens. 

– « Quelle est votre période favorite ?

– Aux alentours de 1920. La période allant de 1880 à 1950 m’intéresse, mais ce que je préfère, c’est 1900-1920 ».

Le début du XXe siècle me plaît aussi. Je pense à un de mes livres préférés, paru pendant l’entre-deux-guerres, À l’Ouest, rien de nouveau. Je l’avais dévoré lorsque j’étais jeune adolescent et je relis parfois ses pages, encore aujourd’hui. J’aimais la lecture lorsque j’étais enfant, puis j’ai trouvé moins d’intérêt à cette activité pendant plusieurs années. J’ai recommencé à lire il y a 3 ans. En revanche, j’ai toujours apprécié avoir une bibliothèque. Dans mon appartement actuel, cette présence me rassure. De plus, trier son contenu de temps en temps m’apporte satisfaction et apaisement.

Je me dis qu’il est courageux de la part du jeune libraire, Simon Elgrishi, de se lancer dans cette voie. Il mise sur une présence sur Internet, puisque le livre est un des objets les plus vendus en ligne, et qu’il est désormais possible d’y trouver toutes sortes d’objets. Par ailleurs, il a fait le choix de ne pas posséder de boutique physique. Un loyer serait une dépense non-nécessaire. Cette stratégie me paraît adaptée, mais doit demander des efforts de communication importants pour se démarquer parmi les milliers de marchands en ligne.

Soudain, je vois des lettres manuscrites dans un classeur à rangements transparents. Les mots écrits au stylo à plume sont difficiles à déchiffrer. Je remarque alors un texte explicatif qui indique qu’il s’agit d’une lettre d’excuses, datant de la fin du XIXe siècle, d’un homme destiné à quelqu’un qu’il avait offensé. Je suis stupéfait de lire des lignes écrites il y a environ 150 ans par une personne ordinaire. Elles n’ont aucune valeur littéraire mais, comme les journaux, témoignent d’une époque passée.

« Monsieur, il y a fort longtemps déjà que je cherchais l’occasion de vous faire mes excuses pour ma sotte conduite ».

En rapprochant mes yeux, j’arrive à déchiffrer les premiers mots. Le style me transporte 100 ans en arrière. J’abandonne alors la lecture, car cela me demanderait trop de temps. Ce document me fait tout de même rentrer dans un événement de la vie de cette personne. Difficile de faire plus authentique !

Lettre manuscrite datant du XIXe siècle au salon du livre ancien de Bordeaux

Échanges avec des amoureux de littérature

L’organisateur du salon, Jean-Michel Andrault de l’association ALAM (Les Amis du Livre Ancien et Moderne), est présent. Je n’hésite pas à aller lui parler.

Le retraité lit depuis son enfance. À l’approche de la cinquantaine, il a développé un intérêt pour les livres anciens : « Je me suis dit que le livre était un objet lié à une époque et que ce n’était pas inintéressant de lire, par exemple, les Lettres Persanes de Montesquieu dans une version ancienne. Pas forcément l’édition originale, car elle est extrêmement rare et coûteuse, mais celle qu’un homme des Lumières a pu tenir entre ses mains. Le papier, la typographie et la reliure sont différents ».

Malgré mon attrait pour le livre physique, je n’éprouve pas un grand intérêt pour les éditions anciennes. Cependant, son partage d’expérience me donne envie d’en savoir plus.

« Le premier livre ancien que j’ai acheté est Le Siècle de Louis XIV de Voltaire. L’objet date de 1752, alors que l’édition originale est parue en 1751. Je l’ai acheté à un prix honnête de 1000 F, ce qui n’est même pas 150 €. Pour une des 1res éditions d’un des plus grands textes de Voltaire…»

À l’entendre me raconter cette bonne affaire, je me dis que sa passion s’exprime. Il ajoute : « En plus, c’est une des seules éditions où figure une lettre typographiée de Frédéric II ». Cette précision éveille mon intérêt, car elle me rappelle mes visites de Potsdam, où le philosophe vécut, à la cour du roi de Prusse. « Dans cette lettre d’une quinzaine de lignes, il disait à l’écrivain qu’il espérait qu’il soit remis de ses problèmes liés au scorbut et que, bien que son style était inattaquable, certaines de ses idées pouvaient être dangereuses ».

Cette description me donne envie de lire la lettre. Est-ce que j’arriverais à la comprendre, dans le français de l’époque ? Peut-être, mais avec des difficultés.

Après ce premier achat, Jean-Michel Andrault prit l’habitude d’échanger avec les libraires anciens et d’acquérir leurs objets. C’est ainsi que son intérêt pour l’histoire des livres a grandi.

Ensuite, je vois un grand nombre d’ouvrages d’art soigneusement présentés sur les tables d’un exposant. Du regard, je parcours les couvertures en espérant trouver un livre de photographies de Brassaï que je pourrais feuilleter. Ses clichés en noir et blanc de la nuit parisienne me fascinent. Pourquoi ne pas même m’offrir un recueil de ses œuvres, qui trônerait à une belle place de ma bibliothèque ?

Soudain, je vois un homme de grande taille venir à ma rencontre. Contrairement à certains marchands, il me présente ses produits et me demande si je suis à la recherche d’une pièce particulière. Il doit s’agir d’un commercial. Après tout, je suis sur un salon, et les exposants sont ici pour acquérir des clients. Je lui dis que j’écris un article sur l’événement et précise que je ne pense pas acheter. En réalité, il s’agit d’un Délégué Culturel de la maison d’édition spécialisée en ouvrages d’art Citadelle & Mazenod. Tout en l’écoutant présenter les collections, j’observe ces livres volumineux et attrayants, et les imagine dans la bibliothèque d’un appartement cosy. Une œuvre phare de l’artiste en question les illustre. J’en remarque un sur Edward Hopper, dont je sais peu de choses. Sa couverture est un tableau d’une femme attendant devant une maison de ville. Elle m’évoque le New-York des années 1950. La maison d’édition n’a pas encore publié de livres sur les œuvres de Brassaï. Je décide donc de m’avancer jusqu’au stand voisin.

J’aborde l’exposant qui se tient devant, Michel Marcillaud, de la librairie M. de B., à Bergerac.

– « D’où vous vient votre passion pour les livres ?

– Quand j’avais 10 ans, ma mère m’a acheté un bouquin sur l’Egypte antique. Je ne cessais de le lire. Ma passion pour l’égyptologie a débuté là. Je suis allé sept fois dans le pays. J’aime aussi la littérature du XXe siècle.

– Quel est votre auteur préféré ?

– Mon top 5, c’est Marcel Proust, Céline, Julien Gracq, Blaise Cendrars et Jean d’Ormesson ».

Le XXe siècle est aussi ma période préférée, mais je n’ai lu aucun de ces auteurs. Il me semble néanmoins avoir étudié un texte de Blaise Cendrars en cours de français au lycée. Je ressens de la déception d’être passé à côté de ces écrivains célèbres. Ce sentiment est renforcé par l’enthousiasme de Michel Marcillaud lorsqu’il les évoque. Il me dit par exemple avec assurance : « Jean d’Ormesson va devenir un auteur classique ». Il affirme cela avec un grand débit de parole et un visage joyeux. La littérature et les livres doivent prendre une grande place dans sa vie.

Son activité de libraire était un passe-temps du dimanche. Elle est devenue une occupation à temps plein, lorsqu’il est parti à la retraite. J’ai de l’admiration pour l’homme de 78 ans. D’une part, parce qu’il vit sa passion. D’autre part, parce qu’il est très actif pour son âge. Cette activité lui permet d’en apprendre tous les jours et de rencontrer un grand nombre de gens. Il précise, un sourire aux lèvres : « Je n’ai pas l’intention d’arrêter ».

La salle est remplie de visiteurs qui ont eu le même réflexe que moi : se mettre au chaud. Je jette un coup d’œil à travers la vitre de la porte. Il y a peu de gens sous les arcades, à l’extérieur. La plupart des visiteurs ressemblent plus à des curieux plus qu’à des collectionneurs. J’imagine qu’ils veulent se laisser surprendre par un bel objet.

À ce sujet, Jean-Michel Arnault trouve qu’un des avantages des salons et brocantes est la possibilité d’acheter des éditions anciennes à des prix abordables : « Vous pouvez par exemple trouver la 1ère édition commerciale d’une admirable nouvelle de la Duchesse de Duras, Ourika, parue en 1824, en Broché, avec une couverture imprimée comme neuf, sur la table d’un libraire aux Quinconces, à 10 € ».

Je n’avais jamais entendu parler de cette œuvre. « Elle avait une plume exceptionnelle, avec des sujets très marginaux par rapport aux normes sociales de son époque. Ourika, c’est un récit autobiographique de la vie d’une esclave, qui a réellement existé et qui a été élevé comme un enfant de famille aristocratique. Elle est tombée amoureuse du fils d’une famille de ce milieu, et là ça a posé problème. Elle a fini au couvent. La véritable édition originale a été tirée à 24 ou 25 exemplaires, et ensuite on lui a conseillé de publier. Il y a eu peut-être 8 000 ou 10 000 exemplaires, ce qui est énorme pour l’époque ».

Je m’imagine des aristocrates dans un salon luxueux, le livre à la main, en train d’échanger avec l’autrice.

Arrivé au fond de la salle, je remarque une large étiquette accrochée à un ouvrage sur laquelle figure le mot « incunable ». Le livre à la couverture qui me semble banale date donc des années qui ont suivi l’invention de l’imprimerie, il y a plus de 500 ans. Quelle surprise que de le voir là, posé sur une étagère à la vue de tout le monde !

Avec précaution, j’ouvre le livre et feuillette les pages denses en mots. En les touchant, je trouve l’instant solennel car très peu d’exemplaires de cet ouvrage existent. Je le repose puisque je ne peux pas comprendre ce texte, écrit en latin. Cependant, la typographie épaisse et élégante me fascine.

Qui peut acheter cet objet ? Peut-être quelqu’un qui veut posséder un ouvrage rare, ou encore un spécialiste du XVe siècle. Cette période m’intéresse car elle marque la transition du Moyen Âge à la Renaissance. Je pense à un voyage à Grenade, une ville reprise par les Chrétiens en 1492, et à un autre à Florence.

Livre de Johann Herolt datant de 1497 au salon du livre ancien de Bordeaux.

La présence de cet incunable témoigne de l’immense diversité des objets. Le lieu est une caverne d’Ali Baba historique, qui contient des objets datant aussi bien du XVe siècle que du XXIe siècle. Ainsi, le salon offre un cadre idéal pour se plonger dans des périodes distinctes. Par ailleurs, les objets disent des choses de leur époque. Par exemple, les lettres de la fin du XIXe siècle rappellent que ce moyen de communication était alors très répandu.

Comment évolue le salon année après année ?

Je sors à nouveau sous les arcades de la cour, où le froid et le silence m’accueillent. Le soleil déclinant indique que le salon va bientôt fermer ses portes pour aujourd’hui. Je longe les murs majestueux qui bordent les ouvrages. Deux libraires échangent entre eux.

Ensuite, je croise le libraire Antoine Fleury, un spécialiste reconnu des livres de Jules Verne, dont Jean-Michel Andrault m’avait parlé. Chaque exposant a sa spécialité.

Puis, je me dirige vers de beaux livres que j’avais vus en arrivant, à proximité de l’entrée. La majorité sont des ouvrages illustrés de grande taille sur des destinations bucoliques ou sur des artistes célèbres. J’admire les couvertures l’une après l’autre. Le marchand ne vient pas me proposer de me conseiller, comme le feraient des vendeurs en magasin. Cela me laisse tout le temps pour observer et m’instruire. Comme dans un musée.

Malgré ces attraits, le salon rassemble moins de visiteurs qu’à ses débuts. Par ailleurs, les libraires se déplacent de moins loin pour venir. Jean-Michel Andrault pense qu’Internet a contribué à cette évolution. Il ajoute que ceux qui s’en sortent le mieux vendent en ligne et en physique. Je me dis que la baisse de la fréquentation s’explique aussi par le besoin d’immédiateté de notre époque. Il est plus facile et rapide de trouver un livre sur Internet que de prendre le temps de flâner pour se laisser surprendre. Je fréquente moi-même peu les librairies, alors que j’apprécie y aller sans avoir d’idée d’achat précise en tête. Cela s’explique par le fait que mes visites en librairie sont plus souvent motivées par l’achat d’un ouvrage en particulier, et je veux d’abord lire ceux de ma bibliothèque que je n’ai pas encore commencés. Ce salon m’offre une expérience différente dans un lieu consacré aux textes écrits.

Cependant, Jean-Michel Andrault nuance la baisse de la fréquentation, le sourire aux lèvres : « C’est la 17e édition, ce qui n’est pas trop mal. Les libraires reviennent chaque année ». Pour Simon Elgrishi, ce salon est une première. C’est l’occasion de trouver de nouveaux clients à qui il peut envoyer son catalogue. De plus, Michel Marcillaud est convaincu qu’un jeune libraire ancien peut vivre de ce métier, tant qu’il est amoureux de la littérature et curieux.

Je quitte les lieux en me disant que j’ai passé un après-midi dans un endroit sublime, au milieu d’objets sources d’émerveillement. J’espère que, l’année prochaine, je croiserai à nouveau tous les libraires rencontrés aujourd’hui.


L’association ALAM organise chaque année, en octobre, dans le quartier des Chartrons, le Salon du livre ancien et moderne, et en janvier, dans la cour Mably, le Salon du livre ancien.

Je remercie toutes les personnes que j’ai interrogées :

  • Simon Elgrishi de la librairie Makaira à Périgny
  • Michel Marcillaud de la librairie M. de B. à Bergerac
  • Pascal Mesrine, délégué culturel de la maison d’édition Citadelles & Mazenod
  • Jean-Michel Andrault et Jean-Pierre Bordes de l’association ALAM

Et vous, où achetez-vous vos livres ? Seriez-vous intéressé pour participer au prochain salon du livre ancien ?

Dites-le en commentaires !


Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *